Thanos tanne Athos

Le Spoiler s'est emparé des pierres d'Infinité et menace de massacrer la moitié d'entre vous qui n'aurait pas encore vu le film.

Ce nouveau Marvel est très étrange à juger. Je me lasse un peu de leur formule tout en y trouvant occasionnellement un peu de fun à défaut de frisson. J'étais blasé par la promo de ce nouvel Avengers qui promettait plus ou moins la même chose que cette purge d'Ère d'Ultron, tout en précisant que ça allait être trop dark parce que certains héros allaient mourir après qu'on ait bien pressé le citron, mais en restant présentable à toute la famille. Quand on m'annonce en guise d'argument marketing que des gentils vont mourir je reste très sceptique. Je devrais craindre la mort de personnages appréciés, pas me réjouir à l'idée que ça arrivera parce que leur mort m'apportera plus que leur survie. Je ne devrais pas me dire "Chouette enfin ça devient tragique !", je ne devrais pas me dire que les scénaristes prennent les décisions que j'aurais prises, je devrais être pris au dépourvu au lieu de cocher ma liste des morts. Pourtant l'impensable s'est produit : le film a réussi à me surprendre sur ce point par sa manière de le mettre en scène.

Le scénario démarre d'une manière inhabituellement cash. Les réfugiés que Thor avait sauvés sont tous morts, Thor lui-même est complètement fracassé tandis que l'impressionant Thanos le domine. On ne nous a pas montré le combat, on est en pleine position de faiblesse et l'ambiance est lourde avec ce silence de fond. En ouverture de film ça fait son effet, on n'a pas envie de rire et la menace est prise au sérieux. Les blagues reviennent au retour sur Terre mais même là, l'arrivée des Enfants de Thanos se fait d'une manière plus glacée que d'habitude. Il y a un silence qui accueille le son grave du vaisseau qui approche alors que les personnages ne le voient pas, puis ils découvrent les new-yorkais paniqués sans percevoir tout de suite la source, sans musique non plus. C'est la présentation solennelle qui pose bien ce qui va suivre, bien que les blagues et la légèreté reviennent vite alors que les personnages peuvent encore se permettre d'être décontractés.

La suite restera dédiée au schéma d'une crise à gérer sans vraiment de message à délivrer, comme dans X-Men apocalypse sauf que là c'est quand même bien mieux. On pourra saluer la manière dont les héros sont répartis pour former des groupes équilibrés sans que ça ne s'éparpille trop, sauf pour l'arc de Thor qui veut se forger une hache et qui est encore moins passionnant que la quête secondaire à Canto Bright de Star Wars VIII. La cohérence et la subtilité n'ont jamais été des critères très importants dans ces Marvel donc je ne m'attarderai pas là-dessus, sauf pour un point sur lequel je reviendrai. Je dirais juste que Thanos est un très bon méchant, le genre qui pourrait faire un héros tragique forcé de se mettre le monde à dos pour aller au bout de sa conviction.

Niveau réalisation et écriture ça reste un Marvel pur jus, avec ses qualités et ses défauts. Il y a des blagues, beaucoup de blagues. Certaines sont drôles, voire dotées d'un sens de l'absurde qui faisait défaut à la saga ("Wait, where is Gamora ?" et ce qui s'ensuit, ou Stark qui demande à ce qu'on arrête avec les références à la pop culture). D'autres sont nettement plus dispensables, certaines scènes se montrent d'ailleurs pénibles comme toute la rencontre entre Thor et les Gardiens de la Galaxie qui s'éternise. C'est globalement le standard Marvel. On a aussi le niveau habituel des effets spéciaux, certains trouvent ça laid mais je n'ai jamais été difficile avec les fonds verts. Même chose pour les combats des frères Russo, ces derniers se montrant tantôt fun avec un gros feedback (BOUM BOUM y z'ont tout cassé les gros machins !), tantôt illisibles comme la bagarre de nuit avec un Deus Ex Machina en guise d'icônisation. Il y a bien quelques effets rigolo et une envie d'en mettre plein la vue pour en donner pour son argent au spectateur. Les héros sont ensemble et coopèrent, chacun combinant ses pouvoirs avec ceux des autres. Cela donne des chorégraphies soignées et parfois inventives, surtout face à Thanos. Les fans de Marvel trouveront très largement leur compte à ce niveau, pour les autres j'en doute fort.

Je retrouve cependant un truc qui m'a toujours freiné avec les Marvel : je n'ai jamais réussi à prendre les combats au sérieux dans ces films. Il y a une telle décharge d'effets spéciaux auxquels les personnages répondent avec désinvolture que je ne les sens jamais en danger tant qu'ils ne sont pas à terre et à la merci de leur adversaire. On a pourtant vu que Thanos était puissant, on a déjà eu des morts, on sait que la Faucheuse ne devrait pas être loin en théorie. Mais dès lors que les héros virevoltent en esquivant les gros rayons violets je n'ai plus l'impression viscérale que la moindre erreur est fatale, je vois des gosses qui font la bagarre à grande échelle. La manière dont se fait la première rencontre avec les Enfants de Thanos à New York me fait vraiment penser à des bandes d'enfants qui défendent leur cour de récrée sans pour autant sortir le couteau à cran d'arrêt, ce qui est dans l'esprit Marvel. Ce ne sont pas des films qui font normalement ressentir la vraie violence, la vraie peur de mourir ou la vraie guerre, ce sont des films pour s'amuser en famille à jouer aux super-héros dans un grand bac à sable. Ce qui est très bien en soi. Mais cela se paie par une difficulté à m'électriser.

Quand Thanos rencontre une résistance qu'il devrait pouvoir balayer sans problème s'il se battait sérieusement, comme il le fera au Wakanda d'ailleurs, j'ai l'impression qu'il les laisse gagner et ça me tue tout. Pendant son combat j'étais déçu par sa performance, on a vu qu'il pouvait bloquer n'importe qui et transformer les armes en bulles, mais soudain il rencontrait des difficultés et se servait de ses pierres surpuissantes pour créer de simples projectiles à esquiver. Je me sentais comme devant X-Men Apocalypse ou le dernier Les 4 Fantastiques où les méchants tuent n'importe qui d'un claquement de doigt sauf lors du climax, encore que Infinity War fait le petit effort de justifier ça par le recours au poing serré. Même chose avec l'usage de la pierre du Temps, quelles sont ses limites ? Dans Docteur Strange je ne savais pas pourquoi elle permettait d'annuler des catastrophes et bloquer Dormammu mais pas revenir sauver tel personnage, ou ici stopper Thanos. On ne connaît pas l'étendue de son pouvoir et cela me donne l'impression que cette pierre n'est utilisable que quand ça arrange les scénaristes. Même chose avec Vision qui me paraissait être surpuissant et qui paraît ici complètement inutile tandis que Wanda a des pouvoirs pétés mais se contente de projectiles rouges face à des ennemis d'envergure, réservant ses pouvoirs les plus utiles aux ennemis figurants. C'est dommage que l'attaque surprise nocturne souffre d'autant de problèmes parce qu'elle arrivait à générer cette impression d'être acculé. Juste avant que l'on constate qu'une espionne sans pouvoir fait largement jeu égal avec une des Enfants de Thanos qu'on croyait plus puissante que ça.

Jusqu'à présent tout ça reste dans la même logique que les Marvel précédents qui ne fera changer d'avis personne sur la saga, à un Thanos et une intro près. Passons au dernier point qui marque une plus grande rupture avec les précédents, bien que cela ne suffira sans doute pas à ramener les détracteurs : la gestion des morts, ce qui me permettra de donner raison à mon alerte sur les spoilers de la critique. Dans l'intro c'est un peu trop expédié en plus d'annuler complètement la fin du précédent Thor, procédé qui m'agace toujours. Il m'est ainsi plus difficile d'être en empathie pour l'asgardien qui a eu besoin de dire qu'il avait perdu tous ceux qu'il aimait pour que je réalise pleinement la portée de cette intro, au demeurant réussie. Vision ne m'a jamais touché donc son sacrifice attendu et bruyant me laisse très froid. L’exécution de Gamora ne marche pas tout à fait chez moi non plus. Je n'aime pas souvent quand ce genre de moment est sur-mis en scène avec la musique qui se lâche et la fille qui hurle tandis qu'on l'amène à l'échafaud. En plus elle passe beaucoup de temps à se moquer de Thanos qui ne pourrait trouver personne qu'il aimerait à tuer pour obtenir sa pierre de l'Âme, alors qu'on a immédiatement compris qu'elle allait être sacrifiée. Ce coup d'avance du spectateur et la longueur du qui pro quo m'ont pas mal gâché le passage. En revanche la manière qu'avait Thanos de traîner sa fille par le bras comme si c'était une enfant était beaucoup plus déchirante. Cela permet de faire de Thanos un héros à sa manière, celui qui a vraiment dû se battre et se sacrifier pour atteindre son objectif, tout autant qu'un monstre qui aura fait souffert cette fille jusqu'au bout.

Enfin il y a cet après-climax qui a calmé tout le monde et qui a déclenché de vives réactions dans la salle quand le générique s'est lancé, moi même j'étais bien plus affecté que je ne m'y attendais. Que le méchant gagne et fasse une hécatombe est une chose, que ce soit fait de manière aussi glaçante en est une autre. Après une grande bataille placée sous le signe de la démesure et du fun bêbête, après un sacrifice étiré sur la longueur qui provoque une grande explosion de lumière, voici le contre-pied complet de tout le film : Thanos disparaît, il n'y a plus de méchant qui reste, et alors que le conflit prend fin sans prévenir un lourd silence s'installe. Puis un super-héro disparaît en cendres avec un souffle fantômatique, sans bruit, sans réaction car personne ne prend la pleine mesure de ce qu'il se passe. Puis un à un, la moitié des personnages et figurants disparaît et l'on ne comprend qu'après coup qu'ils sont morts. On ne le comprend qu'après parce que leur décès contraste complètement avec les autres morts du film : sans préambule, sans lutte, sans attente et sans épilogue. L'antithèse de Vision qui poussait le vice jusqu'à mourir deux fois pour le prix d'une.

Ce traitement est brillant pour plusieurs raisons. Déjà il donne l'impression que ces morts ne sont pas réelles et nous met ainsi dans le déni pour quelques minutes, avant que la poursuite et la chute du générique nous fassent prendre conscience que tout cela est vrai (en attendant un prochain film qui nous rappellera que le trépas n'est qu'une vilaine grippe pour un super-héro ?). Ce retardement de la prise de conscience décuple énormément l'impact, même pour des personnages pour lesquels je n'avais parfois aucun attachement. Ensuite parce que le choix de qui survit et qui meurt est ici parfaitement arbitraire. Elle ne dépend pas des compétences des soldats ni de leur importance dans le MCU, les seconds rôles comme les personnages principaux sont tous concernés. Même les rigolos comme Peter Quill. Peter Parker flippe parce que c'est un gosse qui découvre la guerre et que ça le traumatise logiquement, on se dit que Stark a besoin de rassurer ce môme qui a peur en lui disant qu'il ne mourra pas. Mais si, il meurt bien (en attendant les deux prochains Spiderman qui sont déjà prévus). Ils ne sont même pas morts parce qu'ils ont rencontré plus fort qu'eux, parce qu'ils ont fait un sacrifice ou parce qu'ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment, ils sont décédés en totale impuissance par le caprice du hasard, de manière très soudaine et inarrêtable. Et ça, c'est l'une des meilleures façons de représenter la guerre dans un blockbuster que je connaisse. Sans virer à l'horreur visuelle, juste en exploitant la cruauté du concept même de guerre en faisant un bilan final des morts que cela génère. Les bagarre rigolotes qui précédaient faisaient de la guerre un jeu voire un conflit d'ego, maintenant la récrée est finie et on nous ramène brutalement à la réalité : la guerre, c'est quand un lance un dé et selon les résultats tu vis ou tu meurs, sans gloire, sans avoir ton mot à dire et sans avoir le temps de faire tes adieux. La guerre c'est quand il y a des conséquences qui vont au-delà du sacrifice héroïque sur-mis en scène. Là c'était tout en simplicité et ça rendait enfin ces disparitions émouvantes. On n'est même pas sûr de se souvenir de qui est encore vivant tellement on a enchaîné les disparitions sans respirer, comme une poignée de sable dont les grains se seraient envolé après un coup de vent.

L'absence d'épilogue enfonce le clou : on ne verra pas les personnages faire leur deuil en dehors d'un Tony Stark perdu sur sa planète au milieu des cendres. On ne les entendra pas confirmer que c'est arrivé et qu'ils ont pris conscience de tout ce que cela implique, on n'aura pas de directive sur un nouvel objectif maintenant que la catastrophe a eu lieu et qu'il n'y a donc plus de menace à affronter, à moins de vouloir donner raison au titre de Vengeur. Il n'y a personne pour nous rassurer ou pour nous dire quoi faire. On attend une chute, une réaction, une directive : on aura juste Thanos qui se repose après une amère victoire et un générique qui tombe alors que le spectateur attendait un dernier sursaut d'optimisme, quelque chose qui fasse que l'on ne reste pas sur une défaite et rien d'autre. Il faudra se contenter d'une scène post-générique qui montre l'étendue de la défaite des héros avant de rappeler qu'une certaine Captain Marvel va bien intervenir. J'ai beau savoir que beaucoup de victimes vont revenir, et probablement beaucoup resteront mortes, je dois dire que j'ai été soufflé par l'audace de cette manière de supprimer ces personnages aussi simplement. C'est en plus une méthode qui s'accorde parfaitement avec la visée tout public de la saga.

C'est pour ça qu'il m'est si difficile de juger ce film : sur bien des aspects il ne corrige pas ce qui me déplaît dans les précédents et dans sa globalité il ne dépasse pas chez moi le petit divertissement vite fait, comme les anciens James Bond mais sans le renouvellement. Et puis voilà que quelques minutes avant la fin il te balance cette scène dans la face, pourtant j'étais prévenu par la promo qui m'indifférait. À défaut d'avoir été convaincu par tous ses aspects, je dois reconnaître que Infinity War a su remplir son contrat et restera gravé dans les mémoires. Ce n'est pas un mince exploit pour un film qui partait avec d'aussi lourdes contraintes.