L'entertainment classieux dans toute sa splendeur.

On l’attendait avec impatience, ce nouveau film de Edgar Wright, l’homme derrière la « trilogie Cornetto », devenue culte pour une génération de cinéphiles. Il faut dire que cette dernière était en quelque sorte la quintessence de ce que le cinéma post moderne peut produire de meilleur, loin des simples caprices d’un cinéphage boulimique se plaisant à recracher à la face des spectateurs toute sa culture sans le moindre recul. Ces films étaient tout à la fois de superbes hommages à des sous genres bien typés du cinéma de genre, qu’il s’agisse du film de zombie, du buddy movie ou de la SF alien, mais en y injectant beaucoup de cœur, s’attachant particulièrement à décrire des personnage de gentils paumés, obligés de passer à l’âge adulte par la force des choses. L’amour sincère qu’il porte à ses personnages étant particulièrement communicatif, il était donc logique que le public s’approprie ces films au point d’en faire de véritables œuvres cultes. Néanmoins, malgré toutes les énormes qualités dont ils pouvaient faire preuve, il y avait toujours un je ne sais quoi d’inabouti qui empêchait, du moins pour ma part, d’être totalement conquis. Le film présent avait de sérieux atouts pour se faire désirer, son concept totalement inédit étant fort de promesses que l’on espérait tenues. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le cinéaste n’a pas menti, et a carrément transcendé toutes les attentes que l’on pouvait placer sur lui.
Baby, jeune homme faisant office de chauffeur pour des braqueurs de banque, a toujours de la musique dans les oreilles, pour masquer les acouphènes continus qu’il subit depuis qu’il a été victime enfant d’un accident de voiture ayant coûté la vie à sa mère. Lorsqu’il rencontre la fille de ses rêves, il décide de faire son ultime coup avant de raccrocher, mais comme souvent dans ce genre de scénario, les choses ne vont pas se passer comme il l’avait prévu, et sa vie ainsi que sa liberté seront mises en danger …
Le scénario, écrit comme ça, paraît bien évidemment d’une triste banalité, mais ce serait mal connaître le trublion anglais que de penser qu’il se limitera à une simple illustration de ce point de départ en rappelant tant d’autres. Le concept sera d’utiliser le handicap de son personnage central pour en faire le moteur principal de son projet de mise en scène. Quand il présente son film en parlant de film d’action musical où la musique fait office de pulsation pour le rythme général, il ne ment pas. Car rarement aura-t-on vu un film où la musique est à ce point en adéquation avec les images. Edgar Wright n’utilise pas cette dernière uniquement pour faire fun, mais pour faire sens avec sa mise en scène et son montage, d’une précision qui fait halluciner plus d’une fois. Dès la superbe course poursuite inaugurale, on écarquille les yeux devant l’inventivité démentielle dont il fait preuve, tant dans la géniale inventivité de la scène elle-même, que dans son découpage millimétré, collant à la seconde près à la durée de la chanson. Et sur toute la durée du métrage, à aucun moment l’on aura l’impression d’un effet juke box, fléau de tant de blockbusters actuels, où l’accumulation de morceaux connus de tous échoue à insuffler le moindre enjeu à son récit. Ici, on sent bien que la musique fait partie intégrante du projet, faisant part égale avec tout le reste.
Disons le tout net, les 40 premières minutes sont un véritable chef d’œuvre, le rythme effréné et jamais saoulant, le déferlement ininterrompu d’idées stupéfiantes de transitions ou de mise en scène pure, et le charme inouï de ses interprètes, donnant une certaine idée du bonheur cinématographique à l’état pur. Car au-delà du pur plaisir de cinéma que l’on peut y prendre, du fun et de la bonne humeur ambiants, le cinéaste n’en oublie évidemment pas d’écrire de vrais personnages, à la psychologie fouillée sans paraître sur-écrite. Le personnage de Baby interprété par le très bon Ansel Elgort, évidemment, mais également tous ses compères de crime, qui pourraient être des caricatures, mais qui finissent tous par exister, sans qu’il n’y ait besoin d’en passer par des dialogues trop lourds de sens ou une psychologie primaire. L’intelligence de la mise en scène, là encore, permet de faire sens à chaque instant, le spectateur comprenant instinctivement l’essentiel, ce qui n’empêche pas le scénario de réserver quelques réjouissantes surprises. Et bien sûr, Lily James rayonne et le film ose même le romantisme le plus candide, réussissant l’exploit de ne jamais tomber dans la mièvrerie. On se souviendra longtemps des scènes de séduction, simples et irrésistibles, comme on n’en avait pas vu depuis un bout de temps dans un film américain.
L’affiche annonce fièrement une phrase d’un journaliste de Première, certainement totalement sortie de son contexte, parlant du film le plus cool jamais tourné. Ce genre de raccourci est évidemment courant actuellement, et si cette affirmation est partiellement vraie, elle ne l’est cependant pas pour tout le film. Le réalisateur n’hésite pas à se faire plus sérieux, ou du moins, à créer de véritables enjeux dramatiques, ne se bornant pas à faire du fun inconséquent, qui serait une vision totalement fantasmée des criminels. Ces derniers sont impitoyables, et n’hésitent pas à faire preuve de violence extrême, tous les moyens étant bons pour s’en sortir, mais cela ne les empêche par d’avoir des sentiments, et c’est à ce niveau que le film réussit à surprendre, redistribuant ses cartes dans la dernière ligne droite, mais il est évidemment difficile d’en parler plus en détails, sans risquer de dévoiler des éléments importants de l’intrigue. Tout juste se contentera-t-on de dire que le film n’est pas forcément destiné au plus jeune public, comme on pourrait s’y attendre, le cinéaste versant plus d’une fois dans la violence frontale et sanglante, comme il en a eu l’habitude sur ses premiers longs. Ne pas croire cependant que le film est un déferlement de violence gratuite, mais juste qu’il ne s’agit pas simplement du gentil divertissement tous publics, où tout serait pris à la rigolade. Le fait que la violence ne soit pas banalisée, et que ses conséquences sur la morale de son personnage principal en soient clairement montrées, montre toute l’intelligence du cinéaste, qui a à l’évidence longuement muri son film, dans ses moindres détails.
Tout juste pourra-t-on, si l’on veut vraiment pinailler, dire que le rythme totalement foufou du début ne tient pas sur les 2h de métrage, et que la partie centrale pourra éventuellement paraître un peu plus convenue aux spectateurs les plus exigeants. Mais, si l’on craint justement, durant la première partie du film, que le rythme ne soit pas maintenu jusqu’au bout, et que le film baisse en qualité, on comprend finalement que garder ce rythme frénétique non stop aurait certainement nui plus qu’autre chose au film, le spectateur ayant besoin de respirer deux minutes. Mais cette petite baisse de régime n’empêche par Edgar Wright de redoubler de folie pour son redoutable climax, d’une générosité ressuscitant l’âge d’or des actionners, avec des scènes comme on n’en avait pas vu depuis belle lurette au cinéma.
Il est de plus en plus rare d’assister à ce genre de film, et il est particulièrement réconfortant, au milieu de sorties toutes plus désespérantes les unes que les autres, de voir, de temps à autre, que le cinéma d’entertainment pur est encore capable de produire pareille pépite, du genre qui a compris que l’on pouvait divertir le spectateur sans le prendre pour un demeuré avalant la bouche ouverte et la bave coulante n’importe quelle connerie. Il y a fort à parier que l’on parlera encore de ce film dans des années, et qu’il faudra encore plusieurs visions pour en épuiser toutes les richesses, tant la multitude d’idées dont il fait preuve en fait une œuvre foisonnante impossible à assimiler totalement. A la première vision, c’est un pied absolu que l’on y prend, mais il se pourrait bien que les autres visionnages en augmentent encore l’effet. Celui d’un film réellement exceptionnel, comme on n’en voit plus beaucoup, fait par un cinéaste en état de grâce que l’on peut réellement appeler génie. Merci Mr. Wright, et continuez à nous régaler ainsi à chaque nouveau film, le cinéma a besoin de vous.

micktaylor78
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le 16 juin 2017

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micktaylor78

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