En un petit peu plus d'une dizaine d'années, Edgar Wright a réussi à s'imposer comme l'un des réalisateurs anglais les plus intéressants aux yeux des cinéphiles mais également envers un public plus geek et d'avantage fan d'un cinéma de genre aussi décalé qu'édulcoré. Auteur de ce que les fans qualifient désormais de "trilogie Cornetto" (composée des films "Shaun of the Dead", "Hot Fuzz" et "Le Dernier Pub avant la Fin du Monde") et de l'adaptation du comics "Scott Pilgrim", Wright effectue ici, avec "Baby Driver", ses premiers grands pas dans le cinéma américain contemporain.
Non content de s'entourer d'un casting ô combien prestigieux (Kevin Spacey, Jamie Foxx ou encore Jon Hamm dans des seconds rôles décapants), le réalisateur signe rien moins qu'un film quasi orgasmique, tant il brille par son sens du rythme effréné (dans tous les sens du terme), ses dialogues aussi acerbes que décalés et surtout par une mise en scène du tonnerre, axé avant tout sur le suspense, le fun et... la musique, élément majeur du film s'il en est.


Sorte de relecture édulcoré et cool du superbe "Drive" (2011) de Nicholas Winding-Refn, "Baby Driver" se caractérise surtout par le fait qu'il parvient à se forger une identité propre, SON identité. En effet, sorti en plein été gangrené de blockbusters américains relativement aseptisés, "Baby Driver" s'affiche ni plus ni moins que comme un OVNI, soit un film qui, s'il pourra faire le bonheur de certains, ne manquera non plus d'en laisser d'autres sur la touche.


L'une des particularités du cinéma d'Edgar Wright a toujours été d'en faire beaucoup sans jamais en faire trop, efficace sans être trop chargé; ce que démontraient déjà des films comme "Shaun of the Dead" et "Hot Fuzz", à mi-chemin entre la parodie et l'hommage assumé; deux films qui, tout en rigolant (sans jamais se moquer) gentiment des codes du film de zombies et de ceux du film d'action, les reprenait à leur compte, avec la touche personnelle du réalisateur en plus.
Bien entendu, "Baby Driver" n'échappe pas à la règle. Tout comme "Drive", le film de Wright est bercé de références formelles à certains films policiers américains majeurs des années 60-70 ("Bullitt" et "Driver", pour ne citer qu'eux); à commencer par les poursuites en bagnoles, séquences d'action qu'on n'avait plus vu aussi fun et aussi techniquement maîtrisés depuis un bail.


Et c'est sur ce point-là que réside l'un des premiers coups de génie d'Edgar Wright, à savoir commencer son film par une poursuite automobile, impliquant les standards classiques du genre (des braqueurs qui sortent d'un banque, un chauffeur taciturne qui les attends et qui semble avoir la vitesse dans la peau, des voitures de flic qui se manifestent assez vite).
En entamant son film de telle manière, le réalisateur installe très vite le spectateur dans l'ambiance : les plans (par ailleurs très inspirés) s'enchaînent à une vitesse folle et très vite, on se laisse bercer par cette magnifique bande originale concocté aux petits oignons, bande son qui démarre sur les chapeaux de roue avec le tube "Bellbotoms" du groupe Jon Spencer Blues Explosion. Rarement une scène d'ouverture n'avait été si bien géré en terme d'audace et d'efficacité visuelle, une scène de braquage impliquant des bandits pas très sympathiques le tout sur fond de rock n' roll attitude, quoi de mieux ?
Par la suite, le film continuera sur cette lancée, que ce soit dans les moments les plus spectaculaires ou dans ceux plus intimistes. Sur ce point-là, on notera aussi le très subtil plan-séquence qui nous présente rien moins que le héros du film (le "Baby Driver" du titre) qui nous décrit à quel point la musique fait partie intégrante de sa vie, et qui fait donc suite à la séquence d'ouverture.


Si la musique demeure l'un des éléments fondamentaux du film, il serait de mauvaise fois de ne pas évoquer l'interprétation géniale des comédiens. Tout comme dans les précédents films de Wright, ceux-ci, dans des rôles a priori très typés (le patron mafieux bien méchant, le gangster tendance psychopathe à la gâchette facile, le truand plus réservé et plus sentimentale), jouent la carte de la dérision tout en restant sérieux, en évitant encore une fois d'en faire des tonnes et de sur-jouer dans des rôles a priori trop stéréotypés. Dans le rôle du big boss mafieux impitoyable, Kevin Spacey, comme d'habitude pourrait-on dire, est excellent, capable de passer de la tendresse la plus affectueuse à la méchanceté la plus sournoise; Jamie Foxx, dans un rôle de truand susceptible qu'il vaut mieux laisser tranquille, n'avait plus été aussi bon depuis un moment (depuis "Django Unchained" de Tarantino, en somme); Jon Hamm, le célèbre Don Draper de la série "Mad Men", en bandit amoureux et sensible est lui aussi très juste, jusque dans la fin du film dans laquelle son personnage se montre nettement plus impitoyable. On pourra aussi évoquer le talent de la très belle Eiza Gonzalez dans le rôle de la copine d'un des membres du gang, ainsi que le jeu tout en innocence retenue de Lily James, dans le rôle de la copine du héros.
Mais, au-delà de toutes ces belles performances d'acteur, c'est surtout celle du jeune et prometteur Ansel Elgort dans le rôle principal, révélé par la saga pour ados "Divergent", que l'on retiendra. Disposant d'un physique d'acteur a priori figé et peu expressif, le comédien, devant jouer un personnage taciturne, peu bavard et limite renfermé sur lui-même, fait preuve d'une certaine originalité dans son jeu d'acteur. Par le biais d'une simple moue de tristesse, ou d'un léger sourire, Elgort parvient à faire ressortir toute la sensibilité et la fragilité émotionnelle contenue par Baby (le prénom du héros). De même, le jeune comédien semble, à l'instar de son personnage, éprouver beaucoup de plaisir à "jouer en musique", les divers I-Pod qu'il écoute en permanence font presque partie intégrante de lui-même.


Globalement, pour toutes ces qualités évoqués (ses dialogues décapants, son rythme effréné, son montage efficace, son style décalé, ses acteurs excellents, sa bande originale terrible), "Baby Driver" constitue ni plus ni moins, à mon sens, que l'un des gros coups de coeur de l'année; un film que je ne peux que vous recommander, que vous aimerez... ou que vous détesterez, c'est selon.


Ceci dit, malgré tout, le film est-il sans défauts ? Eh bien, non !
Il y en a, un peu, mais il y en a; à commencer par un scénario qui ne brille pas par son originalité. On ne va pas se mentir, il tient du "déjà-vu" (un jeune chauffeur de voiture qui travaille en partie pour le compte d'un mafieux qui décide de se ranger pour partir vivre avec la fille qu'il aime, ce dernier ne l'entendant bien évidemment pas de cette oreille). Et bien que ce scénario soit volontairement mince (le réalisateur s'intéresse surtout à l'ambiance et aux personnages du film plutôt qu'à son histoire), il n'empêche qu'elle amincit un peu le plaisir que l'on éprouve en le regardant, le spectateur ne pouvant s'empêcher de penser que, bien qu'il ait affaire (comme déjà dit plus haut) à un OVNI cinématographique, l'histoire que l'on lui narre relève du "déjà-vu".
L'autre petit reproche que l'on pourrait faire à ce film est sa fin, un poil trop prévisible et qui tarde un peu à se clôturer pour de bon.
En définitive, des défauts plutôt minimes dans un film efficace, cool,décalé et surtout très bon.


Film culte en devenir, à voir !

f_bruwier_hotmail_be
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Créée

le 10 août 2017

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