Clairement, Abel Ferrara ne cherche pas à nous ménager avec son personnage principal, qui s’impose immédiatement comme un des pires pourris qu’on ait pu voir au cinéma. Oubliez Thierry Lhermitte et Phillipe Noiret, on tient un poisson d’une toute autre espèce. Cherchant toujours un moyen de se faire du fric sur des scènes de crime, notre lieutenant varie son quotidien entre ses paris sportifs, ses petites magouilles, ses maîtresses et les drogues dures. En jonglant avec sa vie de famille (il est père de 2 enfants qu’il élève à la dure). Et malgré sa vie constamment dissolue (la façon complètement cynique qu’il a de voir sa vie et ses travers rajoute encore une couche d’hypocrisie), il continue de se revendiquer chrétien, il va à la messe et se dit protégé par le Seigneur (quand il s'agit de ses paris sportifs). Indubitablement, Ferrara cherche donc à l’opposer à la morale chrétienne, qui sera incarnée ici par une religieuse atrocement violée dans une église qui sera par la suite profanée. L’usage récurent de symboles chrétiens dans la mise en scène est d’abord intriguant, le film s’étant dès le départ engagé dans une voie amorale (voire douteuse si l’on en juge par certaines scènes choc du film : le chantage des deux adolescentes devant lesquelles notre lieutenant fera ce qu’il sait faire de mieux, scène autant absurde que gênante). Mais rapidement, on voit que notre héros se retrouve de plus en plus confronté à la morale qu’il transgresse tous les jours. Et que malgré une volonté naissante pour tendre à nouveau vers elle, il ne parviendra qu'à grand peine à s’y conformer. D’abord par son mode de vie qui l’a toujours habitué à faire usage de la force (si il ne tue pas, son impulsivité le rend parfois très violent), et surtout par son incompréhension totale de cette dernière, qui ne rejoint aucun principe de son monde de la rue. C’est simple, au cours d’une scène réellement poignante (le face à face avec le Christ), notre personnage pète tout simplement un câble en n’arrivant pas à comprendre comment une femme peut pardonner à deux hommes un acte aussi atroce que celui qu’elle a vécu. La rue prône la loi du talion, et pourtant, cette absolution qu’il ne respectait pas au début et qui a pris peu à peu de l’importance dans son esprit, se révèle irrémédiablement plus noble que de laver son honneur. Est-ce folie que d’agir de la sorte, ou serait-ce le début d’une rédemption ? Si on se réfère à l'ouverture du film (le père de famille agressif emmenant ses enfants à l'école) et à sa fin (l'inspecteur emmenant les deux violeurs à la station de bus), on penche vraiment pour la seconde proposition, bien que la situation ne dure pas. Le film préfèrera ne pas clore vraiment cette question par un plan séquence ma foi simple, mais efficace. Concernant le casting, rarement Harvey Keithel m’a autant impressionné. C’est simple : il est déchiré par les dilemmes de son personnage et son hurlement touche juste (il le réutilisera dans plusieurs autres films comme City of crime). Quant à la réalisation d’Abel Ferrara, elle est largement à la hauteur. Eclairage coloré (je pense beaucoup aux films de Brian de Palma techniquement parlant), bande originale qui recherche le décalage avec les situations filmées, quand elle ne s'efface pas durant les séquences émotionnelles les plus fortes. Bref, on tient là un vrai petit bijou qui capture les vacillements d'un personnages entre la corruption et les idéaux moraux qui l'entourent, brassant des thématiques aussi bien religieuses que sociétales.

Créée

le 1 juin 2018

Critique lue 500 fois

10 j'aime

4 commentaires

Voracinéphile

Écrit par

Critique lue 500 fois

10
4

D'autres avis sur Bad Lieutenant

Bad Lieutenant
Gand-Alf
8

Rédemption compromise.

Juste avant de répondre brièvement aux sirènes d'Hollywood avec sa version de "Body snatchers", Abel Ferrera livrait un de ses diamants les plus noirs, les plus bruts, plongée sombre et asphyxiante...

le 19 sept. 2014

46 j'aime

Bad Lieutenant
Docteur_Jivago
8

La rédemption malsaine

Après le réussi The King of New York, Abel Ferrara récidive avec Bad Lieutenant où il nous entraîne dans un enfer urbain pour y suivre un flic se chargeant du rôle du diable qui va se voir la...

le 13 avr. 2017

37 j'aime

5

Bad Lieutenant
Ugly
5

Le gros ripou

Quand ce film est sorti en 1993, son sujet était choc et l'univers glauquissime, j'avais trouvé cette descente aux enfers très pertinente et évidemment surprenante, surtout quand on s'imagine qu'il...

Par

le 25 mars 2018

36 j'aime

9

Du même critique

2001 : L'Odyssée de l'espace
Voracinéphile
5

The golden void

Il faut être de mauvaise foi pour oser critiquer LE chef d’œuvre de SF de l’histoire du cinéma. Le monument intouchable et immaculé. En l’occurrence, il est vrai que 2001 est intelligent dans sa...

le 15 déc. 2013

99 j'aime

116

Hannibal
Voracinéphile
3

Canine creuse

Ah, rarement une série m’aura refroidi aussi vite, et aussi méchamment (mon seul exemple en tête : Paranoia agent, qui commençait merveilleusement (les 5 premiers épisodes sont parfaits à tous les...

le 1 oct. 2013

70 j'aime

36