Je vous souhaite un jour de voir un film qui parvient à capturer l'essence de votre ville avec autant de fraicheur et de vraisemblance. Pour la faire courte, j'ai passé la moitié de ma vie dans un petit village intégré dans ce qu'on appelle le pays des Trois Frontières (France, Suisse, Allemagne) avant de "monter" sur Strasbourg pour mes études. Rien qu'en voyant le titre et le synopsis du film, je savais d'emblée que pour son premier long métrage, Rachel Lang évoluait à domicile. Et ça se confirme après visionnage du film.


Il y vraiment quelque chose de magique de voir une histoire se dérouler dans un cadre qu'on investit quotidiennement. Admirer un panoramique de la presqu'île Malraux offrant une vue 360° sur son Conservatoire, sa médiathèque, son UGC, son Rivetoile... Sourire devant les attentions d'une mamie qui garde des knacks au congélo et qui décide préparer un baeckeoffe pour sa petite-fille. Être touché par un petit moment de complicité mère-fille parties cueillir des mirabelles. S'amuser de voir qu'un vendeur d'un magasin de bricolage allemand est en fait un parfait français. D'autant qu'il faut souligner que Rachel Lang s'écarte en permanence de la "carte postale" strasbourgeoise. De la Cathédrale nous ne verrons que son unique flèche au loin. De même pour la Petite France qui n'apparait que furtivement en arrière-plan. Mieux ! Elle en joue habilement : un tour en péniche devenant par exemple "l'endroit le plus naze du monde". Bon, je m'arrête là en déposant ma loupe d'habitant qui rend visible l'invisible pour m'attaquer au réel propos du film, bien plus universel qu'il n'y parait. Certes la toile de fond repose sur des bases solides, mais ce serait réducteur de réduire Baden Baden à ça.


Le film démarre avec un plan séquence très tendu durant lequel Ana se fait violemment engueuler par un réalisateur. Chauffeuse pour une société de production, elle vient d'amener une star sur un set de tournage avec un retard de 40 min. S'en est trop pour la jeune femme de 26 ans qui prend sa Porshche de location et part sur un coup de tête à Strasbourg, sa ville natale. Elle y retrouve une grand-mère en petite forme et décide de se lancer petit projet pour améliorer son quotidien : remplacer sa baignoire par une douche !


Qu'on se le dise, Rachel Lang nous piège avec son titre trompeur. Nous ne traverserons jamais le Rhin pour nous rendre cette petite ville allemande située à une heure de route de Strasbourg. Ce lieu de villégiature, prisé pour ses stations thermales, n'est autre que le reflet du dessein inatteignable d'Ana. Les travaux dans la salle de bain, bien sûr, mais surtout sa construction identitaire. Il faut dire que sa vie est plutôt instable. Elle enchaîne les boulots sans grande conviction et a plutôt du mal à se projeter dans son avenir.


Je suis impressionné par la manière dont Baden Baden parvient délivrer une tranche de vie vraisemblable tout en usant d'artifices. Son second degré ambiant émousse pourtant sa portée dramatique et devrait naturellement nous détacher de l'histoire. Pire, le film frôle même l'onirisme avec certains passages "lunatiques" habilement intégrés au récit. Mais que nenni ! L'alchimie fonctionne et dégage toujours une certaine justesse.


Avec sa coupe garçonne et son aplomb naturel, la Belge Salomé Richard (Ana) irradie l'écran sans jamais rentrer dans un rapport de séduction. À l'image d'une scène torride sous la douche qui se transforme rapidement en un instant de pure gaminerie. De nombreux hommes gravitent autour d'Ana. Des inconnus, des anciens amours, des amitiés ambigües... Elle se laisse porter par ces rencontres en leur laissant suffisant d'espace pour qu'ils puissent jouer leur propre partition. Ce retour aux sources est à la fois une replongée dans son passé, mais également une nouvelle page de son avenir.


Anna vient à Strasbourg au début du film et part pour Aubagne à sa fin. Que va-t-elle y faire ? A-t-elle achevé son rite initiatique du passage à l'âge adulte ? Nous n'en savons rien. Rachel Lang se contente de nous baigner dans l'oeil du cyclone de l'"adulescence" sans jamais dessiner nettement ses contours. Et elle le fait plutôt bien. Cinéaste à suivre !

GigaHeartz
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le 10 juin 2016

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