Pour un passé qui est mort, ou un cœur désespéré regorgeant de larmes, le cinéma peut faire effet d'exutoire. Alex de la Iglesia s'est servi du septième art pour combattre ses propres démons. Madrid, 1973, la fin de l'ère franquiste approche tandis que deux clowns aspirent à la même chose : le cœur de la belle Natalia, la trapéziste de leur troupe. Jusqu'à quel point l'homme peut-il se détruire pour obtenir ce qu'il désire ? Comment l'art peut-il être un remède à des peurs ancrées en nous depuis l'enfance ? Quelque chose nous dit qu'un air de trompette mélancolique peut nous inspirer...

La première image n'est même pas apparue que nous entendons déjà des rires d'enfants. Ils s'amusent de clowns faisant les pitres, et pourtant, la guerre éclate à quelques mètres d'eux. Voilà l'ambivalence qui deviendra l'un des leitmotivs de Balada Triste, jonglant constamment avec le comique et le tragique. Rarement un film nous aura pris aux tripes de cette manière, et ce n'est pas un hasard si Tarantino l'a récompensé à la Mostra de Venise en 2010.

Alex de la Iglesia revisite sa propre enfance en accomplissant un véritable fantasme donnant lieu à une œuvre déroutante. Décrivant les maux de l'Espagne (la religion, Franco), le film aurait pu faire une heure de plus afin d'assurer les transitions et d'installer véritablement les personnages dans ce récit sadique. Mais cette création aurait perdu de son éclat et de son immédiateté. C'est justement parce qu'Iglesia opère des coupes franches et ne nous laisse pas le temps de respirer que sa narration fonctionne parfaitement. À l'image du générique frénétique brillamment maîtrisé, le montage est nerveux et la caméra bouge sans cesse. Idem pour cette sublime introduction, peu colorée mais parfaitement éclairée, où une sorte de voile bleue donne au passé un mysticisme fascinant appuyé par une nostalgie pesante.

Il ne faut pas voir dans sa création une histoire originale puisque ces personnages ne sont que des archétypes dominés par la souffrance (homme alcoolique battant sa compagne, homme taciturne renfermant en lui un mal-être profond). Ce qui compte avec ces protagonistes, c'est de voir ce que le cinéaste en a fait et de quelle manière il les a installé dans cette ambiance, ressemblant à nulle autre pareille. Tout est excessif, démesuré et parfois même invraisemblable mais qu'importe puisque nous souhaitons assister à un pur cauchemar aux accents poétiques, ce que le réalisateur accomplit de manière sombrement artistique. Le public est emmené dans un univers contradictoire, où l'amour et la haine vont de pair pour que la passion prenne vie.

La force du récit vient également de son second degré. Parfois comique, déjantée ou dramatique, nous ne savons pas toujours comment jauger cette œuvre. Mais Balada Triste reste avant tout une pure tragédie qui ne pourra que mal se finir. La violence et la vengeance sont pour l'espagnol deux entités indissociables qui aident son personnage principal à combler une vie gâchée par la guerre. À cause de cette dernière, des hommes se transforment en bête et « les plus sages deviennent les plus fous ».

Les rires et les pleurs que vous verrez à l'écran se mélangeront dans votre inconscient pour ne se transformer qu'en un écho sordide, malsain et captivant, que vous ne pourrez désormais plus oublier.
Hugo_Harnois_Kr
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le 9 févr. 2014

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Hugo Harnois

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