En regardant Bande de filles, j'ai pas pu m'empêcher de penser à Mommy. Peut-être parce que j'ai vu le Dolan et le Sciamma à pas 48 heures d'intervalle. Certes. Mais les deux films partagent le même enclin à un cinéma jeune et dynamique, furieusement contemporain.

Bref, l'impression de voir la réalisatrice triompher là où le jeune québécois s'est planté. Je m'explique. Céline Sciamma et Xavier Dolan ont tous les deux un goût pour les effets pop, les gros plans, et l'insert de musiques. Dans Mommy, malheureusement, tout ce maniérisme écrasait les personnages sous le poids de l'égo monstrueux du réalisateur, dans une poignée de séquences absolument abjectes, dont la plus emblématique serait certainement le ralenti dans le magasin (ceux qui ont vu le film sauront de quoi je parle, s'agirait pas de spoiler non plus).

Ici, c'est tout le contraire. La mise en scène de Céline Sciamma sublime totalement sa bande de personnages. Parce que la cinéaste joue avec les cadres, la profondeur du champ, et emploie des mouvements lents et délicats de caméra comme pour caresser avec une grande tendresse les quatre filles. Mais, et c'est ce qui est intéressant, il n'y a pas que de l'affection, il y a aussi beaucoup de désir et de sensualité. On sent que Sciamma a une fascination libidineuse pour ses personnages, fascination qu'elle renvoie directement à la gueule du spectateur, invité à la partager.

Le regard n'est jamais complaisant, au contraire, il est passionné. On aurait pu craindre que Sciamma filme ses gamines dans une sorte d'imagerie monde paternaliste dégueulasse. Pas du tout. On pense parfois au dernier film de Kechiche, la Vie d'Adèle, pour cette utilisation de gros plans et d'un montage dynamique. Mais dans la Vie d'Adèle, Kechiche cherchait à bouffer son personnage, à pénétrer le plus profond possible dans son intimité pour l'exposer complètement. La démarche de Sciamma est plus pudique, dans un sens, parce qu'elle ne renvoie que du désir sexuel et un amour franc pour ce qu'elle filme.

C'est précisément quand cette logique de fascination parvient à s'exprimer totalement que le film est le plus beau. Exemple : une séquence musicale sur fond de Rihanna qui, chez Dolan, aurait été dégueulassement clipesque, et qui ici, est transcendée par l'onirisme, comme un moment éphémère et hors du temps. Il y a toute une volonté de rendre compte de la grâce de ces corps, de la part de la cinéaste.

Le problème, c'est que ça ne suffit pas totalement à Céline Sciamma, et que son film conserve encore les traits d'un sociologisme plutôt couillon. Il parvient heureusement à le contenir en le diluant dans l'idée de la bande, du collectif. C'est plus embêtant quand, passée l'heure et demie, le portrait iconique et sexuel de groupe que Sciamma avait très joliment esquissé, le cède au pur récit initiatique, le long d'une dernière demie-heure recentrée sur le personnage de Marième.

Avec ce focus, on perd un peu ce qui faisait le sel du film, pour tomber dans quelque chose de plus convenu. Je ne dis pas pour autant que c'est raté, parce que ça ne l'est pas, loin de là. Je dis juste que ça déséquilibre le film, et le rend quelque peu bancal. Les ficelles de l'initiation sont bien moins discrètes et il y a quelque chose de moins parce que la perspective se fait moins sensuelle, et plus naturaliste, donc plus pesante.

Mais sinon, rien d'autre à reprocher ! Une jolie découverte !
Nwazayte
7
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le 27 oct. 2014

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Nwazayte

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