Tu sais, le film de cette BO allemande d'il y a 30 ans…

Il arrive qu'un film bénéficie d'un traitement de faveur de la part de quelques grands noms dans un élan de générosité, et devienne un succès sorti de nulle part, amalgame d'amateurisme et de VIPs en manque de sensations faibles. Bandits ressemble à ça, pourtant rien à voir : pas de VIPs, pas de traitement de faveur. C'est (juste) la création, certes frivole mais bel et bien professionnelle, d'une cinéaste au-delà des normes qui a su convaincre en faisant les choses à sa manière.


On pourrait en effet s'attendre à des consultants solides ou des motivations spéciales derrière la caméra, car l'œuvre présente tous les symptômes d'une réussite basée sur un énorme (et inexplicable) enthousiasme créatif : rarement esthétique (sauf quand il s'agit de tourner en mode « clip musical », ce que la réalisatrice aime et sait faire), mêlant cliché et naïveté narrative d'une manière qui le vieillit très vite, et soulignant grossièrement des micro-expressions qui n'ont du coup plus rien de micro, il déborde malgré tout de conviction et arrive à nous faire croire à son imaginaire sans avoir à passer par la case « réalisme », comme si cela avait été une opportunité formidable pour les artistes impliqués dans le projet que de travailler avec Von Garnier, et que rien d'autre ne comptait.


En fait, c'est un film qui, d'une manière difficilement compréhensible, semble être venu vite et bien et avoir été tourné sans rencontrer d'obstacles, grâce au même genre de coup de chance qui régit normalement l'accession des individus au statut de VIP dont je parlais tantôt. La suspension d'incrédulité s'y fait toute seule, même s'il est assez dommage qu'elle serve l'objectif un peu évident et solitaire de faire un film basé entièrement sur des femmes. Il y avait des façons plus discrètes que de doter les quatre musiciennes de personnalités opposées, car si c'est cohérent avec le monde criminel en apparence, c'est en contradiction avec l'idée de nous emmener avec douceur et musique dans leur violent fantasme d'évasion.


All-in peu durable, Bandits est un discret renversement du monde cinématographique qui a déterminé des destins modestes, comme celui de sa réalisatrice et de Jasmin Tabatabai dont la carrière musicale a été aidée par lui. Loin d'être une perle artistique, le film a offert un beau drame social de seconde zone aux 90s allemandes, un élégant repère pour hipsters nostalgiques, ainsi qu'une BO légendaire venue de noms qui sont ensuite tombés dans l'oubli – c'est bien là ce qu'il a de plus attrayant et qui le fait passer pour une collaboration unique de milieux artistiques très différents, alors que non.


Les étoiles les plus brillantes sont celles qui vivent le moins longtemps : si cela ne s'applique pas au film, alors c'est au moins le cas de sa genèse.


Quantième Art

EowynCwper
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le 29 juin 2020

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Eowyn Cwper

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