Le japonais Katsuya Tomita a débarqué dans notre paysage cinématographique à Locarno avec Saudade en 2011 avant de nous laisser sans nouvelle jusqu’à Bangkok Nites. Du temps il en a fallu à cet artiste fou qui a besoin de s’immerger dans un environnement avant d‘en faire un film. C’est donc pendant 5 ans que Tomita a multiplié les allers et venues en Thaïlande pour savoir quoi raconter, sur qui raconter. C’est ainsi qu’il a rencontré les personnes et leurs histoires qui formeront la genèse de son film.
Ce processus se ressent dans la forme même du film. Katsuya Tomita s’est donné un rôle, celui d’Osawa, un client très proche de Luke, une prostituée de Bangkok. Pendant les 3 heures de film, Osawa se détachera très rarement de la jeune femme tandis que celle-ci lui dévoilera un pan de son intimité qu’elle cache à ses autres clients. La relation que le réalisateur a tissé avec son apprentie actrice est finalement très proche de celle entre les deux personnages. Le dispositif filmique de Tomita est dès lors assez original et fait de Bangkok Nites un récit passionnant du cinéaste sur son voyage en Thaïlande et sur le regard qu'il lui porte. Sa réalisation se situe entre Abel Ferrara pour sa mise en scène brute et Apichatpong Weerasethakul pour ses quelques scènes oniriques. Même s’il n’a pas le talent de ces deux inspirations principales, le medley est suffisamment novateur pour être remarqué.


Bangkok Nites raconte donc l’histoire de Luke, une jeune femme originaire de la campagne nord et pauvre du pays qui se prostitue dans la capitale afin d’apporter un tant soit peu d’argent à sa famille. Même si elle fait fasse aux regards malveillants de ses proches à cause de son activité, Luke sait que c’est paradoxalement le seul moyen d’avoir de l’argent et de vivre dignement. Ce paradoxe, Tomita le montre avec beaucoup de justesse au fil des allers et retours de Bangkok vers le village d’origine de Luke. La prostitution est partout et certains clients, pour payer moins cher qu’à Bangkok, se rendent directement dans les petits villages du Nord pour trouver chaussure à leurs pieds et, cela, pour des cacahuètes. Bangkok Nites appuie sur la fatalité de la prostitution qui tombe sur les jeunes filles pauvres en Thaïlande.
Mais le film n’est pas qu’un portrait sombre de l’Asie du Sud-Est. A l’instar de Saudade, Tomita n’épargne pas son pays d’origine. En effet, son film insiste sur le fait que la clientèle principale de la prostitution thaïlandaise est japonaise. La responsabilité y est donc énorme dans ce fléau thaïlandais. En deux films Katsuya Tomita dépoussière ses consorts en déchirant le voile pudique que le cinéma japonais avait posé sur son propre pays.

JimAriz
7
Écrit par

Créée

le 21 nov. 2017

Critique lue 226 fois

1 j'aime

JimAriz

Écrit par

Critique lue 226 fois

1

D'autres avis sur Bangkok Nites

Bangkok Nites
GwenaelGermain
5

Jacen - Trip in Asia

Bangkok Nites (2016) - バンコクナイツ / 183 min Réalisateur : Katsuya Tomita - 富田克也 Acteurs principaux : Subenja Pongkorn ; Sunun Phuwiset ; Chutlpha Promplang ; Katsuya Tomita. Mots-clefs : Japon –...

6 j'aime

Bangkok Nites
Morrinson
7

Portraits croisés sur l'exil et la prostitution

On plonge dans Bangkok Nites comme les protagonistes du film plongent dans la nuit de la capitale thaïlandaise. En suivant le parcours de quelques âmes errantes, une cohorte essentiellement...

le 7 févr. 2018

4 j'aime

2

Bangkok Nites
ArnaudDuthilleul
7

Critique de Bangkok Nites par Arnaud Duthilleul

Un ex-camionneur japonais qui réalise un très bon film sur un pays d’Asie du Sud-Est profondément différent du sien ; voilà une situation qui peut sembler légèrement fantaisiste. Alors doit-on...

le 20 déc. 2017

3 j'aime

Du même critique

Cannibal Holocaust
JimAriz
2

Une horreur sans nom

Cannibal Holocaust est très vite devenu archi-culte grâce aux nombreux scandales qu'il a suscité. Interdit aux moins de 16 ans dans sa version censuré. Accusé d'avoir réalisé un snuff-movie, le...

le 6 nov. 2011

19 j'aime

8

Restless
JimAriz
8

Une douceur...

Ah ! Le cinéma de Gus Van Sant, ces images, ces musiques qui bercent ces adolescents en marge de la société... C'est cette fois-ci traité avec beaucoup de légèreté malgré l'image de la mort ambiante...

le 24 sept. 2011

18 j'aime

La Mouette
JimAriz
9

Critique de La Mouette par JimAriz

"Je suis une mouette" s'écrit Nina en toute fin de pièce. En effet, elle et tous les autres personnages de cette pièces incroyable de Tchekhov, ne sont rien d'autres que des mouettes. Des oiseaux...

le 5 avr. 2013

14 j'aime

2