Deuxième volet de sa trilogie dite « de la misère », après Les Bas-Fonds (1957) et avant Dodes'ka-den (1970), Barberousse signe la fin de la collaboration entre Akira Kurosawa et son acteur fétiche Toshirô Mifune, long métrage pour lequel Mifune remporta la Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine à la Mostra, quatre années après sa première récompense à Venise en 1961 pour Yojimbo également réalisé par Kurosawa. Adaptation du roman éponyme de l'écrivain Shûgorô Yamamoto et de Humiliés et offensés de l'écrivain russe Dostoïevski, ou l'une des influences majeures du cinéaste japonais, Barberousse parachève la fin d'un cycle initié vingt ans auparavant, le film marquant l'arrêt d'une période d'intense productivité pour Akira Kurosawa, le réalisateur japonais tournant quasiment au rythme d'un film par an depuis La Légende du grand judo en 1943 (vingt-quatre films en vingt-deux ans).


Film-fleuve de plus de trois heures, d'un premier chapitre centré sur Yasumoto, personnage principal du film (bien que le titre laisse présager le contraire), de sa rébellion à sa « rédemption », à un second chapitre basé sur la renaissance physique et morale de la jeune Otoyo (Terumi Niki) sauvée par Barberousse d'une maison close (segment inspiré par l'œuvre précitée de Dostoïevski), Barberousse a la caractéristique première d'être ainsi divisé en deux parties distinctes, séparées par un entracte musical. A l'instar de L'ange ivre ou Chien enragé qui s'inspiraient de l'histoire contemporaine du Japon d'après-guerre, le cinéaste ne cache rien de la misère sociale qui touchaient les quartiers miséreux de la capitale nippone au 19ème siècle. De ce constat brutal sans misérabilisme, le long métrage s'éloigne toutefois du pessimisme des précédents films signés par Kurosawa de par son message humanitariste.


Bonté, sens du sacrifice, par-delà son aspect rustre et froid, Barberousse est dépeint comme un personnage de contraste, n'hésitant pas à défier l'autorité, voire même à user de violence si besoin, pour aider les plus faibles ; Toshirô Mifune qui interprète de nouveau une figure tutélaire non-conformiste, comme il avait déjà pu l'incarner trois ans plus tôt dans la suite de Yojimbo, tandis qu'à l'opposé, Yasumoto, joué par Yûzô Kayama, neveu du chambellan capturé dans Sanjuro et personnage principal du mélodrame de Mikio Naruse Une femme dans la tourmente, incarne la figure du « fils », autrefois dévolu à Mifune quand celui-ci avait pour partenaire Takashi Shimura.


D'une histoire riche en intrigues secondaires, la mort du vieux Rokusuke (Kamatari Fujiwara) ou le destin tragique de Sahachi (Tsutomu Yamazaki), le scénario de Barberousse coécrit avec les fidèles Hideo Oguni et Ryûzô Kikushima (La forteresse cachée, Les salauds dorment en paix), et le nouveau venu Masato Ide, prend donc la forme d'un récit initiatique dans sa première partie où chacun des patients du dispensaire que croisera Yasumoto auront une influence manifeste sur sa perception du métier de médecin, la seconde partie du film et la rencontre avec la jeune Otoyo mettant en lumière quant à elle la thérapie altruiste de Barberousse : le premier remède aux maux, physiques et psychologiques, passe par soigner autrui.


Dernier film en noir et blanc du maître japonais, Barberousse dévoile une fois encore le perfectionnisme de Kurosawa (le tournage s'est étiré sur deux ans), du cadrage à la photographie, aux décors, chaque détail conférant à rendre le long métrage unique en son genre.


Un classique.


http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2017/02/barberousse-akira-kurosawa-1965.html

Claire-Magenta
9
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le 2 juin 2017

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Claire Magenta

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