Ils sont forts les sagouins ! Mifune et Kurosawa font encore un très grand film! Bien sûr, l'écriture et la mise en scène d'Akira Kurosawa épatent par leur intelligence. Le résultat est formidable, écoutez, il n'y a pas meilleur résumé : formidable !


Encore une fois, Kurosawa propose un film surprenant. Ce coup-ci, ce sont des sketchs finement intégrés à une trame générale : un casse-pipe qui devient sous nos yeux une œuvre magnifique d'équilibre, de grâce, de beauté.


Le fil conducteur est la vie quotidienne au sein d'un hospice pour les pauvres tenu par un médecin charismatique, à la philosophie humaniste et sans concession sur la misère du monde, les inégalités sociales. En entrant dans le détail de ces particuliers avec des personnages, des situations très variés sur lesquels la lumière est posée jusqu'à la résolution de leur problème, la narration aborde de nombreux thèmes et développe ainsi la vision très tolérante du médecin, de la philosophie qu'il entend faire perdurer dans son hôpital. D'une extrême générosité humaine, cette confrontation aux malheurs du temps et à la misère du vieux Tokyo, encore Edo à l'époque, se veut sans doute comme un paradigme, un système pour mieux panser la douleur, mieux en supporter l'absurde constance.


Les différentes vignettes abordent la souffrance, la peur de la mort, la culpabilité, le remord, l'amour, le désir, la fidélité, la folie, l'ambition, l'aveugle jeunesse, la violence, l'extrême pauvreté, la résilience, la compassion et j'en passe! Kurosawa ramasse, emplit sa besace de tant de grands thèmes, on est emporté par ce flot, enthousiasmant, submergeant mais toujours la tête hors de ce magma, car toujours retenu par un fil de lisibilité.


Comment fait-il ? Comment peut-il tenir un récit aussi chargé qu'un fleuve limoneux après de fortes pluies, avec autant de légèreté et d'aisance ? Je suis toujours sidéré par cette magie, cette facilité à rendre digeste l'immensité de l'univers chez Akira Kurosawa !


Et là, on ne parle que de l'écriture scénaristique! Parce qu'en plus le monsieur se pique de picturaliser son film : que ce soit dans la recherche d'un cadrage pertinent ou dans une mise en lumière audacieuse avec des jeux d'ombres compliqués, le travail visuel rapproche le cinéma de la peinture.


Comme de plus, Kurosawa laisse la nature raconter les sentiments des hommes par sa présence envahissante, douce comme les flocons de neige, violente comme les torrents de pluie, la poésie naturelle de l'environnement ajoute ses notes émouvantes.


Entre estampes japonaises et naturalisme, entre Hokusai et Zola, entre nature et société, le film semble s'enticher d'images et d'émotions fortes, vastes, en tous les cas impressionnantes. Symbiose entre fond et forme qui finit par gagner l'enthousiasme : comment ne pas être ravi devant ce travail de funambule ? Kurosawa sur un fil danse avec une agilité incroyable. Plus le temps passe, plus je mesure le génie de cet homme !


Et puis quel bonheur de retrouver l'un des meilleurs comédien de toute l'histoire du cinéma : Toshiro Mifune n'a peut-être pas là son plus grand rôle, ou disons celui qui met le mieux en valeur ses talents d'acteur. Son personnage est intense toutefois : son exigence morale le sacralise aux yeux de sa communauté. Il ne se laisse pas apprivoiser avec facilité, ce qui permet à Mifune d'appuyer sur un certain aspect comique, dans le bougon du personnage. Quoiqu'il en soit, un peu austère, enfermé dans son intransigeance, le rôle laisse à l'acteur deux ou trois séquences où il peut faire la démonstration de des facilités naturelles d'incarnation.


Et j'en redemande ! Mifune et Kurosawa, j'en veux encore !


http://alligatographe.blogspot.fr/2015/05/akahige-mifune-kurosawa-barberousse.html

Alligator
9
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le 15 mai 2015

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