Quand Kubrick décide de s'attaquer au film de genre, il se doit d'être le meilleur. Et sans conteste, en terme de film historique / en costumes, difficile de faire mieux.
Certes, le budget colossal alloué lui permet de réaliser ses caprices les plus fous comme le choix des costumes, dessinés à partir de modèles authentiques ayant demandé un an et demi de travail. Certes, il n'éprouve aucun scrupule financier en s'entourant de beau monde pour sa photographie et les décors. Mais force est de constater l'immense et inégalable talent de Kubrick qui est derrière tout ça et dans un film qu'il maîtrise du début à la fin, sans la moindre fausse note, fidèle à lui-même et à sa recherche constante de perfection, élevant le niveau à des hauteurs inégalables.
Résumer ce qui fait la classe monumentale de l'homme dans une critique semblerait trop présomptueux si bien que nous ne concentrerons que, brièvement, sur ce qui a nos yeux parait le plus relevant: les aspects narratif et visuel.
Ce dernier point d'abord. L'une de ses fantaisies les plus saugrenues consistait à ne se servir que d'un éclairage naturel. En extérieur, même si l'on se trouve parmi les grises terres d'outre-manche, cela ne pose pas trop de problème. Mais en intérieur, surtout la nuit, la tâche est plus ardue. Comme souvent la contrainte devient source de créativité et Kubrick ne déroge pas à la règle en réussissant à donner à la lumière, au moyen de quelques réglages techniques, une place centrale dans son esthétique. La bougie et les candélabres desservent des clairs-obscurs d'une grande finition, tandis que les hautes fenêtres du château laissent passer une lueur pâle qui sied aux visages poudrés. Ces intérieurs, grâce à la lenteur de la caméra qui respecte de cette manière le rythme du roman dont s'inspire le film (Mémoires de Barry Lyndon, de William Makepeace Thackeray), se transforment par la grâce et le génie du cinéaste en autant de tableaux de la plus grande facture inspirés du genre de l'époque (on pense à Gainsborrough bien sûr, mais aussi à A. Devis pour son art de la conversation piece) que ce soit des portraits, des scènes de groupes ou des paysages.
Ce soin apporté à une image de bout en bout magnifique ne peut bien sûr être détaché de l'art narratif qui excelle dans Barry Lyndon. Le récit nous conduit merveilleusement au son d'une B.O. parfaitement montée le long de l'itinéraire hors du commun de Barry, entre grandeur et décadence, avec au milieu à nos yeux la plus belle scène du film, c'est-à-dire la rencontre avec Mme Lyndon, sa future épouse: scène (presque) totalement muette, faite de regards, de lumière tamisée et de la chair brûlante de désir, elle contient une tension érotique considérable où les sens sont conviés (chuchotements, éclairages, mains qui s'effleurent, regards caressants, ...) et mêlés pour finir dans un sobre quoique ardent baiser réunissant les deux amants. L'élégance et l'audace de filmer cette scène sans recourir au verbe ne font que mettre en valeur l'efficacité visuelle de son image, capable à elle seule de raconter sans dire. Ceci étant, les dialogues qui jalonnent le reste du film sont somme toute assez nombreux et sans aucun doute d'une grande qualité, sans emphase ni fatuité mais toujours d'une grande justesse, de même que la voix off du narrateur externe qui, avec un soupçon d'ironie parfois (humour british oblige) nous accompagne sans être trop présent. Enfin, s'il fallait souligner une dernière qualité qui fait de Kubrick un conteur redoutable, mentionnons sa maîtrise de la respiration narrative nous tenant toujours en haleine même lorsque la tension retombe, repartissant savamment les événements le long de l'intrigue et nous surprenant toujours même quand le narrateur nous annonce l’imminence de l'inéluctable.
Mon second 10/10 sur ce site, parce qu'aller au-delà, c'est impossible.