Le carton final de Barry Lyndon est une cinglante épitaphe. Une conclusion froide et détachée pour une fresque romanesque tragique.
Bien entendu Barry Lyndon est en premier lieu un évident tour de force technique. Qu'il s'agisse de paysages champêtres picturaux ou de scènes intimistes dans une pénombre déchirée par la lueur des chandelles, Barry Lyndon est d'une d'une beauté insolente. Le film jouit des partis pris de réalisation et du perfectionnisme exacerbé de son réalisateur, totalement sublimé par le travail titanesque de John Alcott. Je ne m’appesantirai pas davantage sur ces aspects, mon ambition ici n'étant pas de vous livrer une analyse technique débordant d'amateurisme.
Pour son récit profondément naturaliste, Kubrick dépeint la violence sociale qui bouillonne sous le fard d'une aristocratie impitoyable. Amateur de littérature, il emprunte à son contemporain Orson Welles l'emploi de la figure littéraire d'un narrateur, ici aussi flegmatique qu'omniscient et sarcastique, auqueul il ajoute une construction en actes, trait caractéristique de ses autres films.
Portrait de l'Europe au 18° siècle, il est question ici de suivre la construction du personnage de Barry Lyndon. D'abord jeune Redmond Barry, bien tôt privé de père, il se fera bien rapidement le fossoyeur de la pureté et la remarquable naïveté qui le caractérisaient pour embrasser le seul moteur social réservé aux gens de sa classe : la violence.
Cette même violence qui lui permettra d’apercevoir les sommets et qu'il tentera de dissimuler par tous les moyens avant de finalement éclater, monstrueuse , aux yeux de tous ceux qu'il s'efforçait de tutoyer. Le pugilat sonnera le glas de ses ambitions et annoncera déjà sa perte.
Empêtré dans son deuil, noyé dans les remords et l'alcool, la conclusion dramatique lui sera apportée par son jeune beau-fils humilié. L'ironie voudra que le seul geste de noblesse qu'il soit parvenu à esquisser précipite l'ambitieux usurpateur droit dans la condition dont il se pensait extirpé : sur la paille et les déjections de gallinacés.
Barry Lyndon est une oeuvre cynique et tout simplement dépourvue de morale, dont l'ambition n'est jamais que nous confronter à notre propre condition, en témoigne ce simulacre de justice, renforcé par l'écran de clôture du long métrage.
Du côté de la réalisation, rarement un film n'aura aussi bien capturé l'ennui et la mélancolie éprouvés par ses protagonistes.
Parce qu'il est toujours obsédé par la géométrie, les formes comme la symétrie, les compositions mettent parfaitement en valeur la richesse architecturale caractéristique de ces immenses demeures. Ajoutez à cela un goût toujours certain pour l'absurdité de la chose militaire et de fameux travellings arrières lourds de sens et dissipons nos dernier doutes : Barry Lyndon est bien un film de Kubrick.
À tout cela s'ajoute une bande son emblématique, comme bien souvent chez le mélomane. Forcément plus classique que les Stones en clôture de Docteur Folamour, rien ne sera plus évocateur que la sarabande de Haendel, si ce n'est peut-être le Trio pour piano et violoncelle (Op 100) de Schubert.
Oeuvre incontournable de la filmographie de son réalisateur, Barry Lyndon est une leçon de cinéma, tout simplement.