S’inscrivant dans cette caste de cinéastes confinant à l’intouchable, le consensus tangible entourant Stanley Kubrick n’a finalement d’égal que la verve de ses détracteurs, eux qui lui reprochent entre autres choses son formalisme froid et ses personnages désincarnés. 2001, l’Odyssée de l’espace pouvait alors se poser comme un sommet du genre mais, comme toujours, chaque « cinéphilie » a sa propre vérité : dans mon cas, c’est Barry Lyndon qui emporte pour le moment la palme de l’incompréhension et de l’apathie.


Pourtant, il est vrai que l’épopée de Redmond Barry disposait de réels et solides atours à même de le faire perdurer dans le temps et les consciences : impressionnant à l’aune de ses décors et costumes nous plongeant tout droit dans le XVIIIe siècle, et fort justement récompensé en ce sens, le long-métrage s’arroge une empreinte formelle marquante au gré de son usage judicieux de la lumière naturelle, sa riche composition du cadre et une pléiade de séquences dont l’immobilisme accroît la splendeur. Néanmoins, si cette minutie maladive vise et parvient à retranscrire cet esthétisme d’antan, qu’il est regrettable que la quasi intégralité du récit soit à son service.


Dès lors, ces fameuses remontrances trouvent chaussure à leur pied dans le cas de Barry Lyndon, lui qui n’est finalement pas loin d’être une belle coquille vide : la faute, paradoxalement, à ce même enrobage exquis qui semble phagocyter l’âme de ses personnages, eux qui oscillent entre comportements commodes et nonchalance chronique. Par ailleurs, la présence répétée d’un narrateur accentuant le découpage du film nous conforte dans l’idée que l’intrigue a besoin d’une béquille pour progresser, sa posture à la frontière du pédagogue omniscient trahissant le manque de teneur et autres incohérences du fond... les draper du plus bel effet ne suffit pas.


Certes, convenons que Barry Lyndon a pour mérite de monter, lentement mais sûrement, en « température », lui qui va pâtir d’un premier acte lancinant : suspendue au jeu d’un Ryan O’Neale faisant de son mieux pour compenser l’inexpressivité béate de son rôle, celle-ci échoue à faire de ce dernier une figure « passionnante », ses tourments amoureux ne nous faisant en l’état ni chaud ni froid. Poursuivant avec un opportunisme dont le pragmatisme fait typiquement écho à la patte Kubrick, nous traînons la nôtre dans le sillage du jeunot devenu vagabond chanceux dans sa malchance : le problème étant qu’il ne fait que « subir » les aléas d’un récit peu enthousiasmant, dont le contexte de la Guerre de Sept Ans l’enjoint à des actes de bravoures que nous sommes bien en peine de saisir (le sauvetage de Potzdorf).


Cette notion d’inintelligibilité est alors des plus évidentes à l’orée de sa rencontre avec le Chevalier de Balibari, sa soudaine percée d’humanité faillible n’étant pas loin de nous laisser coi... si ce n’est que ce diable de narrateur est là pour nous expliquer le pourquoi du comment. La séquence est ainsi symptomatique des limites d’écriture du bousin, marque d’une dépendance à un artifice exogène peu subtil et, donc, aux antipodes de ce qu’il instaure formellement. Fort heureusement, il va découler de cette rencontre un second souffle hautement bienvenue, Barry Lyndon concluant son premier acte au terme d’intrigues somme toute croustillantes.


Dans un même esprit, l’acte suivant et conclusif en redore à sa manière le blason, quitte à égratigner différemment le portrait de Redmond : en effet, exit l’insouciance et la débrouillardise (doublée d'un zeste de filouterie) qui font place à des aspirations répréhensibles. Le fait qu’il se mue en un salopard antipathique aurait pu, en temps normal, paraître rédhibitoire tant l’évolution est abrupte : pour autant, le semblant d’ambivalence qu’il invoque au moyen de sa paternité, quand bien même le malencontreux devenir de son rejeton ne nous émouvrait pas, est un véritable gage de nuance et donc d’intérêt en comparaison du reste.


Le duel final est également un autre motif de satisfaction, bien que nous soyons bien en peine d’interpréter clairement cet élan de pitié inopinée... dont les conséquences ironiques abonderont, comme le reste, dans le sens d’un portrait fumeux et d’un pessimisme ambiant quelque peu acide. Nous pourrions enfin continuer la démonstration des tenants et aboutissants creux que soulève le long-métrage, choses qu’illustrent de bout en bout de bien transparents protagonistes (que dire de Lady Honoria Lyndon), mais voilà qui devrait être suffisant pour résumer mon sentiment : je ne serais jamais vraiment rentré dans Barry Lyndon, et il s’en est fallu de peu pour que j’y sois totalement hermétique. Tant pis.

NiERONiMO
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le 21 mars 2020

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