Alors que Paul Verhoeven venait de percer dans les films d’action décomplexés et intelligents avec Robocop et Total Recall, il revient à une romance telle qu’il aime la concevoir avec Basic Instinct 7 ans après le sensationnel La chair et le sang. Enfin, la romance prend forme ici au sein d’un thriller policier démarrant par une scène de meurtre des plus brutales, occasionnant l’enquête qui verra s’affronter et se rapprocher le flic en charge de l’affaire et la principale suspecte de l’assassinat. Cette frontière entre romance et thriller est omniprésente sur l’ensemble du film tant ses 2 dimensions sont mêlées.


Le scenario, écrit par Joe Eszterhas, se fera un malin plaisir d’entretenir le mystère et l’érotisme de concert, octroyant au film une ambiance assez unique que beaucoup essaieront de reproduire sans succès. Parce que si certain(e)s diront du film qu’il ne doit son succès commercial fulgurant qu’à ses scènes hot et son actrice principale de toute beauté, moi je dis que si c’était aussi facile je ressentirai la même chose devant les nombreux thrillers érotiques qui ont suivi sur sa lancée alors qu’il n’en est rien, filmer une belle nana de façon sexy n’a jamais suffit à faire un grand film.


Cet aspect sexiste fortement dénoncé à la sortie de Basic Instinct m’est compréhensible au premier coup d’œil avec ses scènes érotiques et ses personnages féminins sociopathes mais personnellement je trouve qu’il y a pas mal de points qui contrebalancent le problème, au point que j’en ferais presque l’analyse inverse. Le personnage le plus intelligent du récit est une femme, une scène de sexe longue et explicite ne sera jamais sans intérêt scénaristique ou tension dramatique, une femme insultée ou qui se sent insultée s’indignera de la situation et se révoltera, la libération des mœurs est synonyme de plaisir...


C’est un film qui a un certain fonds critique qui peut aussi se retrouver dans son second degré, comme le fera extrêmement intelligemment ce même réalisateur 2 films plus tard avec Starship Troopers. Mais c’est surtout dans la qualité d’écriture de ses dialogues que je vois les ambitions les plus importantes du film et pourquoi est-ce qu’il me plaît autant. Au-delà des quelques tournures humoristiques particulièrement bien senties, j’apprécie très grandement toute l’interprétation qu’elles invitent à réaliser de notre part, en tant que spectateur.


En effet, une multitude de répliques, souvent celles de Catherine, sont écrites de façon à avoir au moins 2 sens. Parfois, ça peut être 2 sens pour le récit et du coup ça fait travailler cette interprétation à la manière d’un excellent thriller, comme lorsque Catherine déclare être aussi innocente que Nick après être passée au détecteur de mensonges qui venait d’être sous-entendu inefficace. Elle se déclare donc officiellement innocente et respectueuse de l’enquête tout en disant officieusement que son enquêteur n’a pas de leçon de morale à lui donner et qu’il n’a aucun moyen de prouver quoi que ce soit, tout ça en une petite phrase de 6 mots.


Parfois, cela peut avoir un sens pour le récit et pour le spectateur de façon introspective comme lorsque Catherine dit à Nick qu’il fait un très bon personnage juste après avoir déballé une partie de son passé qui vient tout juste de lui donner plus de profondeur. C’est une réplique qui a du sens dans le récit puisqu’elle a déclaré plus tôt s’intéresser à Nick pour écrire son nouveau personnage de roman et ça fait d’autant plus sens que je me fais exactement la même réflexion que ce que le personnage décrit dans la fiction.


J’ai aussi beaucoup aimé l’ambiguïté des réponses apportées par le récit aux questions habituelles d’un thriller (Qui est le meurtrier ? Pourquoi avoir fait ça ?) qui demandera forcément au spectateur de réfléchir et d’affirmer sa propre théorie qui ne sera dans l’absolu pas moins valable qu’une autre:


Bien que l’image finale du film choisit de révéler que Catherine est potentiellement la tueuse avec ce pic à glace sous son lit qu’elle semble hésiter à saisir avant d’y renoncer, on ne la voit commettre aucun crime, on ne l’entend pas le confesser, on a un autre coupable clairement désigné... Même si je n’ai aucun doute sur le fait qu’elle est la seule meurtrière, qu’elle fait tout ceci pour le plaisir de manipuler son monde avant d’y mettre un terme dès qu’elle s’en ennuie et qu’elle aime s’en sortir par son génie lui permettant de corrompre Nick et de le soumettre à sa volonté, lui qui aurait dû être la plus grande des menaces pour elle.


Et si elle ne le tue pas à la fin du film, je ne pense pas que c’est par amour, toutes ses scènes où elle semble vulnérable lui servent tellement à influer Nick dans un sens qui l’arrange que je l’en crois réellement incapable. Elle veut juste continuer de jouer avec lui jusqu’à en avoir marre et bis repetita, l’histoire se répète comme une boucle et le personnage de Nick a tellement évolué au cours du récit qu’il sera aussi impuissant que les autres victimes quand elle en décidera ainsi bien qu’au départ il semblait être celui qui y mettrait un terme, une fin des plus originales pour un thriller policier.


Michael Douglas et Sharon Stone occupent quasiment toute la place du casting à eux-seuls, même si les rôles secondaires s’en sortent bien aussi. Michael Douglas incarne parfaitement son personnage violent, torturé et déterminé. On lui attribue assez facilement ce stéréotype d’homme à femme maître de la situation en toute circonstance, pour mieux le déconstruire totalement par la suite avec une évolution progressive du personnage qui finit par ne devenir que l’ombre de lui-même et que l’acteur continue de très bien interpréter de façon cohérente.


Sharon Stone réalise quant à elle la meilleure performance de sa carrière en incarnant à mes yeux la meilleure femme fatale de l’histoire du cinéma à travers sa voix envoûtante qui respire l’assurance d’une femme qui croît lire en chacun comme dans un livre ouvert, les regards qu’elles lancent à la caméra pour montrer toute sa maîtrise de la situation, son sourire séducteur dont on ne sait jamais vraiment ce qu’il peut signifier, ses crises de larmes dont on arrive pas à cerner avec certitude leur authenticité...


Leur alchimie à l’écran fonctionne très bien, malgré leur différence d’âge de 14 ans qui selon beaucoup de détracteurs du film suffit à en faire un contre-argument. Personnellement, je trouve qu’ils arrivent parfaitement à montrer l’attirance qu’ils peuvent avoir l’un pour l’autre alors qu’ils sont opposés l’un à l’autre, jusque dans la couleur de leur vêtement de blanc à noir pour le montrer dans la forme, jusqu’à leur attitude raisonnable ou décomplexée vis-à-vis des addictions dans le fonds.


Il est aussi à noter que la mise en scène sait se montrer inspirée de temps à autre avec cette course-poursuite en voiture qui passe régulièrement à la vue subjective et illustre très bien sa mise en danger de façon assez réaliste. Mais la plupart du temps, ce sont des choix plutôt subtils mais efficaces vis-à-vis des échelles de plans et de leur durée, de l’éclairage et du jeu sur les ombres, des couleurs lourdes de sens... qui une fois cumulés offrent au film toute la qualité de ses meilleures scènes. Si on analyse par exemple plan par plan le passage où Catherine appelle pour la première fois Nick par le surnom flingueur, on comprend qui domine le dialogue à quel moment rien que par tous ces détails qui renforcent l’intensité qui en émane et l’interprétation qu’on en fait.


Basic Instinct est un thriller qui se distingue de tous les autres par la justesse du jeu de ses deux acteurs principaux, par la qualité d’écriture de ses dialogues, par l’interprétation qu’il sait inviter à réaliser, par l’ambiance envoûtante qui s’en dégage, par son fonds critique appréciable, par une mise en scène discrète et efficace... ce n’est pas un film racoleur qui raconte une histoire convenue et qui ne doit son succès qu’au charme de Sharon Stone qu’il suffirait de filmer nue. C’est un petit chef d’œuvre de plus pour Paul Verhoeven et je suis bien content que les spectateurs aient su y répondre présent, jusqu’à en faire l’un des films les plus rentables des années 1990 malgré les réticences critiques à son égard.

damon8671
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le 3 août 2018

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