Batman begins n'est certainement pas le meilleur film de Nolan, mais quand même il faut mettre les choses au point. Apprécié par le grand public, décrié par la majorité des cinéphiles il est pourtant essentiel à la compréhension de la vision nolanienne de l'homme chauve-souris et au delà, il est une étape charnière de la carrière du réalisateur, puisque les critiques à l'encontre de son Batman vont en faire son dernier film "moyen" ( Le Prestige n'est pas un film moyen ). Pourquoi se pencher sur Batman, surement pas le moins exploité des comics ? On va essayer de voir en quoi Batman se prête à une adaptation façon Nolan et qu'elles en sont les traits caractéristiques dans le premier volet, Batman Begins. La critique ne se veut absolument pas analytique, ni d'ailleurs pédagogique, mais elle a pour vocation la réhabilitation d'un film rapidement résumé à quelques poncifs hollywoodiens bien existants mais secondaires dans un film réellement surprenant par les enjeux qu'il met en lumière : sur la société américaine, sur la faillite de l'Etat de droit, ou tout simplement sur la fin de l'"animal social".


Batman en tant que personnage est en lui même intéressant, l'analyse n'est pas nouvelle, mais le fait qu'il n'est pas de super pouvoirs est notable, et participe très certainement à l'intérêt de Nolan pour lui. En effet qui dit pas de pouvoir, dit substituts au pouvoir. Et qu'est ce que la substitution si ce n'est l'art du déguisement, de l'artifice, la maîtrise de l'illusion ? Avec Batman l'occasion est rêvée pour Nolan de combiner sa propension à exploiter les alter-réalités, mais également de proposer une réflexion sur les effets de la concurrence de ces réalités; les films de super-héros se sont bien emparés de la dualité entre la vie de l'homme et celle du héros. Dans Batman le personnage se dédouble entre le riche Bruce Wayne et le justicier. Si le dédoublement est sans doute le principal lien entre tous les héros, tout le génie de Nolan est dans cette assimilation et cette redéfinition qui veulent que l'intérêt réside pleinement dans la collision schizophrénique qui découle de cette confrontation, car si un pan très creusé dans les films de super héros est celui de l'impact mutuel de cette double vie dans le rapport du héros aux autres ( Spiderman et Mary Jane, etc.), Nolan lui s'intéresse aussi aux effets sur le héros lui même, la perception qu'il a de lui même plus que celle des autres. Chez Nolan c'est souvent le moyen d'imbriquer en plus de l'intrigue dite "de base" un tumulte psychologique qui ne se détourne jamais de la structure globale mais la complexifie en lui offrant de nouvelles perspectives. C'est pourquoi une bonne partie du film se consacre à la création de Batman et que le film avance au gré des étapes franchies par Bruce Wayne, physiquement et mentalement, qui apprend à connaître le monde, et apprend à se connaître lui même. Dans cette optique l'influence de la Ligue des Ombres est importante car elle admet une vision radicale du monde qui aujourd'hui connait un nouvel essor par le biais de différentes démagogies et symbolise la secte dans ce qu'elle a de plus terrifiant et intriguant ( répulsion mais attirance donc). Le seul point regrettable est d'avoir trop grossi les traits sur cette secte : perdus dans la montagne, organisation millénaire ( oui la chute de Rome c'est elle, l'incendie de Londres pareil etc. ). Néanmoins sa présence dans le film bien qu'introduite de façon maladroite est révélatrice d'un trait commun aux films de Nolan qu'il faut évoquer puisqu'il se traduit dans Batman par une redéfinition hiérarchique édifiante mais complexe.


La confrontation avec la Ligue des ombres et plus particulièrement l'opposition à Ra's al Ghul est une marque de fabrique typiquement nolanienne. Premièrement la secte permet la mise en valeur de quelque chose difficilement identifiable mais qui a une importance prépondérante chez le réalisateur : sa conception de l'élitisme, spirituel et physique. La notion d'élite chez Nolan est importante, car tout sophistiqué qu'il soit, le cinéma de Nolan est un cinéma d'ensemble qui englobe toujours toute une société, et la figure des élites, qu'elles soient politiques, judiciaire, mafieuse mêmes est intéressante dans l'analyse que l'on peut faire des rapports de force d'autant plus qu'il ne s'agit pas d'une simple condamnation de l'abus de pouvoir car il est bien question de rendre un réalisme social, l'attrait du pouvoir, la passion de l'argent étant des réalités indéniables et constituantes de toute figure sociétale. En effet, aborder un système, caractérisé ici non pas par le monde entier mais par Gotham ( symbole d'une métropole de toutes les dérives ), c'est comprendre le rapport du pouvoir et de la masse. L'intrusion dans cette dialectique d'un super-héros, donc d'un autre pouvoir, est alors un évident chamboulement, mais permet d'éclaircir par sa marginalité les collusions des pouvoirs influents ( mafia, justice, politique... ). Il en va de même quand le système est ébranlé par une force incontrôlable, produit d'une société sans limite qui finit par se retourner contre elle (ce point sera plus développé dans la deuxième partie consacré à The Dark Knight ). Le héros, Batman donc, est soumis au même système, bien qu'il tente de s'en écarter il ne peut se défaire de l'influence de la justice aussi corrompue soit-elle ( Jonathan Crane ) et de la police aussi corrompue soit elle ( Flass ). On remarquera que ce sont tout de même les liens affectifs qui favorisent ces rapprochements ( Rachel pour la justice, Gordon pour la police ). La place du héros chez Nolan est tout à fait originale puisqu'il ne trahit pas son cinéma en persistant dans le réalisme et en ne faisant pas d'exception pour le justicier : Nolan n'adapte pas son cinéma à Batman, il adapte Batman à son cinéma.


Un autre paradoxe apparaît donc : chez Nolan, les films se concentrent sur le personnage principal plus que sur son entourage, ce qui est normal me direz vous, mais la proportion est chez le cinéaste clairement plus élevé. Ce qui fait la force de ses films c'est que la présence moindre des éléments extérieurs au héros à défaut de réduire leur importance, accroit leur influence sur le héros, Batman est tout autant la création de Bruce Wayne que celle de son père, de Falcone, de Ra's al Ghul... Ce qui est intéressant c'est de voir que malgré que, comme on l'a vu plus haut, le personnage central soit soumis au contrainte commune de la société -normal puisqu'il défend cette société là, il se veut exemplaire- il n'en est que plus remarquablement mis en valeur. En effet, la principale question qui se pose avec la figure du héros est de se demander si la nécessité du héros n'est pas la preuve d'une faillite de l'État de droit. Dans Batman begins Nolan reformule cette question propre à la notion même de héros en réécrivant la création de ce héros sous couvert symboliste. En effet, ce pourquoi Batman begins est vraiment intéressant, sa qualité première finalement, est d'offrir une clé de lecture totalement symbolique qui détermine le héros et par la même la saga vue par Nolan. Toutefois il ne le formule pas de manière autiste mais l'ouvre à une perspective originale, la confrontation des symboles davantage que la confrontation des héros ou villains les représentant. Plus qu'ailleurs dans le paysage de l'adaptation comic, Nolan effacent les personnages derrière ce qu'ils représentent. Affirmant ainsi l'épouvantail comme allégorie de la peur, on rejoint ici la volonté de touché à l'essentiel et de s'emparer de la culture populaire comme fondement d'un cinéma globalisant.


La musique de Zimmer, habitué de la collaboration participe à ce processus de symbolisation, la B.O. s'apparente à l'alliance d'un certain naturalisme de la musique, le récurrent battement d'ailes perceptible, qui façonnent d'une certaine manière l'appropriation de la figure de la chauve souris, avec la prédominance perpétuelle du mystique. En gros, Nolan ne se sépare pas de l'aspect naturel, organique constitutif de son héros mais en assoit la puissance par sa mythification, elle sur-réelle, mais dont l'influence s'accroit par une maîtrise totale de l'artifice; artifice, illusion qui deviennent de nouvelles réalités dès lors qu'ils égalisent le réel, leur importance n'est plus à démontrer dans le cinéma de Nolan. Chez Nolan, plus que chez Raimi, le héros est indissociable de son animal, car il a une signification pour lui et plus encore que la signification pour lui, il a une signification pour les autres : "People need dramatic examples to shake them out of apathy, and I can't do that as Bruce Wayne. As a man, I'm flesh and blood. I can be ignored, I can be destroyed. But as a symbol ... as a symbol, I can be incorruptible. I can be everlasting". On retrouve ici l'importance du symbole dans la figure du héros, mais chez Nolan le processus est plus long, parce que Bruce Wayne au départ espère combattre le crime en tant que Bruce Wayne, à visage découvert ( cf. la rencontre avec Falcone ), ce n'est qu'après ses échecs qu'il comprend l'importance du symbole qui contrairement à l'homme est indestructible.


Batman begins est donc un film imparfait puisqu'une construction par la négative, par l'erreur, par le traumas de la mythologie Batman. On entend par là que tout ce qui naît de positif dans le film est issu de choses négatives. Une mythologie refondée jusque dans ses racines profondes, avec tous ce que cela comporte d'intrigant et de laborieux. Intéressant aussi d'avoir su faire plier le traditionnel "localisme" de Batman, confiné à Gotham, à une vision plus générale, calquée sur notre modèle sociétal, quoique plus pessimiste, Nolan way quoi. Un film peut être en dessous dans la filmographie du réalisateur britannique mais dont on sous estime la valeur car s'il est intrinsèquement moyen il est le parfait tremplin qui fera de The Dark Knight l'un, si ce n'est le meilleur film de super héros vu à ce jour.

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le 20 juil. 2011

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Heisenberg

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