J'imagine qu'avec presque deux cents avis émis et la fine fleur de la plume Sens Critique qui s'est sans doute penchée sur son cas, il n'y a plus grand chose à dire d'original ou de neuf sur cet incroyable film qu'est Battle Royale. J'imagine que je vais sans doute utiliser les mêmes mots et exalter la même dithyrambe béate et admirative. Je m'en excuse à l'avance. Mais pour moi, plus de quinze années après la baffe de sa sortie salle, Battle Royale ressemble toujours autant, entre les mains de son réalisateur, à une grenade dégoupillée lancée à la gueule d'une société détraquée qui marche sur la tête.


Il est évident que Kinji Fukasaku, radical et sans concession, dans un accès de rage destructrice, vise avec ce film à tendre au Japon un miroir de son faciès déformé, à dépeindre un monstre qui dévore ses propres enfants pour en recracher les cadavres. Le monstre, c'est cette société qui ne comprend plus la génération qu'elle a enfantée, avec laquelle elle échoue à communiquer, si ce n'est par la violence. C'est cette génération qui attend la soumission et l'obéissance de la suivante, qui ordonne le sacrifice et la pression de la performance ou de la perfection. Jusqu'à l'absurde. Le suicide du père de Shuya en est le symptôme le plus tangible, le plus tragique. On le devine au chômage depuis une certaine période mais essayant de sauver malgré tout les apparences et son image de chef de famille. Peine perdue. Les derniers mots autour de son cou indiquent à son fils le chemin à prendre. Balisé. La violence de la découverte porte en germe celle, sourde, qui anime cette génération qui semble privée des repères les plus élémentaires.


Pour critiquer et hurler sur cette société qui le répugne, Fukasaku ne définit pas ses enjeux à l'échelle nationale. Il préfère prendre pour objet de son étude l'avenir du pays, symbolisé par le minuscule microcosme d'une classe de lycée a priori ordinaire, pour en précipiter ses membres, ses amitiés, dans une guerre absurde du tous contre tous. S'il est évident que l'individualisme, l'égoïsme ou la trahison sont à l'oeuvre dans la désintégration du groupe, c'est d'abord l'incapacité à communiquer, les non dits ou les envies de vengeance qui gangrènent presque chacun de ses membres.


Ainsi, les sentiments que l'on s'avoue, les jalousies et autres rumeurs sont autant d'occasions parfois futiles pour ces adolescents de passer à l'acte, de passer du rôle de souffre douleur à celui du bourreau. Et c'est alors peut être moins le désir de survivre que celui de régler ses comptes qui semble motiver les agissements des élèves parachutés en pleine nature, en plein survival. Ces derniers ne font finalement que prolonger le domaine de la lutte lycéenne alors que tous les verrous du système scolaires ont volé en éclats.


Pour ce faire, Battle Royale ne rechigne pas à utiliser une ultra violence full frontal aussi outrée que dérangeante et sans concession, à l'image de l'explication des règles du jeu où déjà, deux adolescents tombent de manière extrêmement traumatisante et dans une surprise qui glace le sang. Tout cela tranche avec l'image d'un Beat Takeshi presque impassible, la moitié de son visage figée, ou encore avec cette vidéo décalée dans la plus pure tradition japonaise de la joie de vivre et du sourire en toutes circonstances.


Kinji Fukasaku met en scène une génération désenchantée, acculée et obligée d'exprimer la violence qu'elle nourrit, une génération que le pays qui l'a vu naître ne reconnaît pas, ne comprend pas, n'écoute pas. A l'image de Takeshi, qui a échoué avec sa fille, avec sa femme, et qui essaie maladroitement de nouer des liens avec la petite Noriko. Une Noriko qui, avec Shuya, sera marginalisée par le système à la fin d'un film d'une puissance incroyable, d'une colère rageuse et d'un certain pessimisme porté sur l'avenir.


Que ce film coup de poing, hargneux et sombre soit porté par un septuagénaire est d'autant plus admirable et révélateur quant à l'aptitude de la jeunesse, qu'il secoue avec force, à se battre et à porter ses (absences d') idéaux.


Behind_the_Mask, qui cherche son carnet de liaison.

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le 4 juin 2016

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