J’attends encore de voir Dieu seul me voit (Versailles-Chantiers), souvent considéré comme l’opus majeur du cinéaste, pour me construire un avis plus définitif sur ce que m’inspire son cinéma. Mais sur les 4 films que j’ai vus des frères Podalydès (cinéaste et acteurs), c’est celui-ci qui me convainc le plus pour le moment (sachant que j’ai tout de même une relative sympathie pour son dyptique adapté de Gaston Leroux). Formellement déjà, le film n’est pas aussi plat que son précédent, se révélant plus inventif et invoquant toute une imagerie burlesque, bricolée et artisanale, peut-être moins héritée du cinéma que de la bande dessinée (et pas uniquement parce que le film est une adaptation de BD) mais qui n’est jamais statique pour autant, révélant une profondeur et une gravité que j’ai trouvées assez inattendues. Je dirais que le film se situe quelque part dans la continuité du précédent film de Podalydès, Comme un avion, dans lequel le personnage s’écartait du rêve qu’il avait décidé de vivre pour s’immiscer dans la vie quotidienne d’une famille d’aubergistes. Ici, c’est aussi le cas de Bécassine : son rêve est de quitter son milieu paysan fastidieux de Normandie pour une vie de travailleuse au sein de la capitale, qu’elle espère plus faste et prospère. Alors qu’elle est sur le chemin, elle tombe sur la famille d’aristocrates du coin et, finalement, est engagée comme nourrice de l’enfant orphelin qui a été recueilli par la famille en question, à l’essai tout d’abord puis définitivement à plein temps par la suite. La précision est importante parce qu’elle révèle un basculement : le travail de Bécassine, censé avant tout être provisoire pour lui permettre de financer son voyage vers Paris, se révèle finalement être celui qui va donner un sens à sa vie, d’abord en devenant une mère pour l’orpheline, ce qui va constituer l’un des piliers du film, mais aussi en étant actrice au sein d’un collectif, un noyau familial construit entre aristocrates et domestiques et dans lequel elle va dévoiler tout l’étendue de ses talents. A l’inverse de Comme un avion, Bécassine ! n’est pas un film individualiste, c’est un film qui va de l’individu vers le collectif et c’est ce qui en fait un film bien plus réussi, au-delà de ses qualités formelles. Les fins des deux films sont d’ailleurs, dans cette logique, totalement opposées : Bruno Podalydès, individualiste, revient à un quotidien morose dans Comme un avion faisant suite à un rêve avorté, là où Bécassine poursuit l’odyssée entreprise des années plus tôt vers Paris, avec sa fille adoptive, qu’elle a vu grandir, qui lui a été prise, puis rendue. Et c’est quand même bien plus fort.