L'élément déclencheur de la rencontre dans Before Sunrise était la dispute entre un couple d'allemands qui avait poussé Céline à aller s’asseoir à côté de Jesse. L'on n'en comprenait pas le sens exact (à part pour les germanophones évidemment, ce qui n'est pas mon cas), mais l'on comprenait bien de quoi il en retournait : un mariage qui tourne au vinaigre, des époux qui ne se supportent plus, bref, la fatalité de la vie à deux qui finit par annihiler la passion des débuts.
Parce que Richard Linklater prend le parti pris de raconter une histoire en temps réel, de manière mimétique et sur un laps de temps prédéfini qui viendrait capter la vie de ses personnages à une époque précise de celle-ci (comme Boyhood après lui), la trilogie des Before ne pouvait que mener, de manière cyclique, à cette implosion matrimoniale qui s'enclenche, non pas comme Céline le laisse entendre, lors de la scène dans la voiture, mais dès le coup de foudre, si j'ose dire, que connaissent les deux personnages dans le premier volet : la boucle est bouclée, et ils deviennent malgré eux les amoureux aigris qu'ils pensaient pouvoir fuir.
Before Midnight était donc un pari risqué (mais Linklater aime les défis) puisqu'il était à la fois inévitable pour poursuivre une continuité cohérente de l'arc narratif, mais que c'était aussi probablement le film de trop. Et si l'histoire s'était achevée sur la note multi-interprétative de Before Sunset, laissant le spectateur décider pour lui-même de l'avenir des personnages ?
Parce que l'on croit en cette romance, qui s'était établie en une sorte de parenthèse enchantée dans les deux premiers films – des personnages extérieurs qui ne faisaient que passer avant d'être rejetés en hors-champ, des plans-séquences pour marquer la temporalité de l'action, une multitude de procédés qui donnaient chair et cohésion et à l'alchimie amoureuse – mais dont on connaît la finalité, le film crée une attente.
Et cette attente n'est jamais vraiment comblée – comme celle des personnages d'ailleurs –, puisqu'à mon sens, le film se fourvoie dans une caricature un peu éhontée de ses prédécesseurs : Céline et Jesse ne sont plus que les fantômes d'eux-mêmes, deux entités coincées dans le temps à peine réminiscentes d'un passé qui s'estompe, et qui finit par disparaître, éphémère. Et qu'on se le dise, ils sont carrément insupportables, surtout Céline, étriquée dans un rôle réducteur à la limite de la condescendance moqueuse de quarantenaire hystérique en crise face à un Jesse toujours transit d'amour et bienveillant qui, décidément, n'a pas une minute de répit.
En fait, Before Midnight ressemble aux films cartes-postales de Woody Allen, To Rome with love façon Péloponnèse : c'est verbeux pendant les premières quarante minutes du film (qui du coup en prend vingt de plus), les personnages secondaires sont de trop, puisqu'ils ne semblent servir qu'à la mise en place du cadre idyllique et estival, donnant lieu à des conversations obsolètes et étirées, et les engueulades de Céline et Jesse sur les gosses, le lave-vaisselle et leur insatisfaction professionnelle chronique n'ont rien de nouveau, rien qui n'avait déjà été prononcé des centaines de fois au cinéma.
Comme l'amour de ses personnages qui s'est fané, Before Midnight sonne comme un triste couplet de fin, post-scriptum à une histoire terminée, bluette ensoleillée vite rongée par les dommages du temps, objet désuet malgré lui qu'on regarde avec attendrissement mais qui appartient à un monde révolu que les roms-coms bouseuses de ces dix dernières années avaient déjà pris le temps de piétiner.