En voilà un monde. Un univers comme on en fait peu. Les mains de Yamamoto sont deux entités créatrices, façonnant de sang et de sons, un espace-temps propre. Un de ceux qui hypnotise et vous fait comprendre instantanément que le sang, lui aussi, est un fluide qui peut se faire entendre. L’essence rouge de la vie a ce quelque chose de langoureux. Un rythme aphrodisiaque qui laisse rêveur celui qui oserait tendre l’oreille à son tumulte.


Reprenant librement un écrit de Jules Michelet intitulé La Sorcière, Yamamoto s’autorise les plus grandes libertés, balançant son récit entre ecchi et hentai, symphonie et tableau. Et de liberté, il n’est finalement question que de cela. Jeanne et Jean, paysans sans le sous se sont mariés sans l’aval de leur seigneur et le châtiment de ce dernier sera odieux. A la suite de quoi, les deux amants se déchirent puis s’éloignent l’un de l’autre. S’offrant-alors à un esprit démoniaque faisant d’elle une entité forte, une puissante sorcière, elle devient tant redoutable que redoutée. Et sa lutte se dessine alors peu à peu en une ode à la libération. A elle seule elle incarne le refus de l’oppression de par une aura grandissante que lui permet de rivaliser avec l’institution tyrannique. Ce n’est pas seulement une émancipation du second sexe mais l’affranchissement des plus faibles, de ces humains incapables de vivre, de ces exclus oubliés de tous. C’est un moyen de dénoncer l’injustice, matrone des tortures. Laquelle lorsqu’elle est totale, éclatante, ravage. Elle indigne puis soulève.


En ceci, Belladonna de la tristesse sonne comme une osmose pour les sens. C’est une explosion, un feu d’artifice fantasque où papillonnent les formes charnelles les plus enchanteresses, la grâce d’un mysticisme moyenâgeux et des émotions voluptueuses qui n’ont de cesse de raviver une extase ultra dimensionnelle. Car là où le film animé fait preuve de génie, c’est qu’il forme un motif unique. Non pas en tissant le fond et la forme l’un à l’autre comme deux amants enlacés, mais c’est que ceux-ci forment un seul et même fil. Et le résultat en est quasiment anti-cinématographique, car tout en refusant les codes narratifs classiques du 7e art, il prône un avant-gardisme d’une élégance et d’une pertinence rare, mêlant le propos et l’essence comme deux corps unis.


Alternant des images en suspension où vagabond est le regard et de véritables danses transcendantales où se perdent l’ouïe et l’esprit, le dessin de Kuni Fukai est un miracle. Il s’y mêle l’obscure et le beau, tous deux flottant sur les rivages d’un amour absolue, s’entremêlant dans une union superbe de chagrin. Et par ses couleurs et ses traits, la frénésie est palpable, dicible. C’est une véritable fureur qui se propage et ne s’arrête pas. Ainsi, l’expressivité du tracé allié à l’originalité esthétique (qui n’est pas sans rappeler les œuvres de Klimt, de Feure ou encore Mucha) concordent et trouvent harmonie en une symphonie onirique et érotique sans pareille.


En effet, plus la perspective se dessine et plus la couleur, à la manière d’une estampe japonaise s’estompe, se floute et se perd aux horizons des nuances. A l’inverse, lorsque l’objectif se focalise sur les traits, sur l’expressivité des visages, des regards, des gestes, des actes, les détails sont minutieux, somptueux. Le temps se fane, l’espace s’affadit, et dans une même image s’enchevêtrent le raffinement de l’émotion humaine et l’incertain de l’ailleurs. Cette poésie se forge alors un tout autre corps qui prend sens lorsque la musique, composée par le génial Masahiko Satoh ajoute à tout cela un lyrisme psychique envoutant. Combinaison parfaite faisant écho à l’enchantement qui s’opère alors. Tous ces sons vont, se baladent à contre temps, à l’unisson ou anticipent parfois même le récit. C’est une rhétorique de la sensualité et de la séduction passant par le son et l’image, voyageant au gré de couleurs sonores et où l’emprunte psychédélique propre à la fin des années 60 ne s’est jamais aussi bien transposé. Elle se fond, sensuellement, simplement, dans cette profusion de délires et de picturalités. C’est un langage corporel, physique, optique, sonore. C’est une révélation.

Manco_El_Guións
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le 10 juil. 2016

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Manco

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