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En 1969, Osamu Tezuka, le père du manga, se lance dans une trilogie de films d’animation afin de montrer que le média est parfaitement apte à traiter des thèmes adultes. En l’occurrence, de cul.


Enfin on va plutôt dire érotisme, c’est plus poli. Dans Belladonna, troisième film de la série signant la mort du studio en 1973, rien n’est vraiment suggéré mais rien n’est montré sans passer par le prisme de la métaphore, de l’abstrait. Vous voyez les scènes de sexe avec des plantes de the Wall d’Alan Parker (Alan, quand tu veux, où tu veux, avec fougue) ? C’est dans l’esprit avec un design plutôt art nouveau avec une pincée de surréalisme allemand. Même si la propension de la demoiselle à se faire violer toutes les dix minutes a de quoi surprendre. Je savais le film porté sur la chose mais je n’imaginais pas qu’il se conjuguerait au sadisme le plus épicé. Je pense que la demi-douzaine d’abandon en salle ne s’y attendait pas non plus ; vous voilà prévenu.


Dans une France moyenâgeuse située quelque part dans le temps entre la guerre de cent ans et Woodstock, Jean le berger et Jeanne l’ingénue, deux paysans, s’aiment d’un amour pur et véritable qui fait chanter le soleil dans un envol de tourterelle entre deux épidémies de peste noire. Mais le curé a retourné sa bure pour le seigneur local, sorte de monstre libidineux que n’aurait pas renié un Moebius ou un Druillet période Métal Hurlant, accompagné d’une armée pratiquant la guerre et la gueuse. Jean et Jeanne vont donc faire leur éducation sentimentale façon moissonneuse-batteuse d’ex-URSS dans les parties. Du coup Jeanne va vendre son âme a un diable au look mephistophalique et puis je vais pas vous la faire à l’envers, c’est pas pour le scénario qu’on a ressorti du placard ce film. En bref, il permet une succession de tableaux tous plus délirant les uns que les autres avec un fort sous texte de contestation des valeurs traditionnelles, religion et autorité. Pour le féminisme... La beauté de Jeanne (que j’appelle Belladonna dans ma tête à chaque fois) est à la fois son malheur et sa meilleure arme pour (sur)vivre dans son monde cruel faisant passer Remi sans famille pour une franche rigolade, mais la succession de malheur faisant son scénario de même que la naïveté des dernières images m’ont laissé sceptique sur le message du film. Du féminisme à la Sasori la femme scorpion, où on vise l’émasculation cathartique autant que l’émancipation.


Tableau est le mot clefs ici. Entre des aquarelles filmées, des plans fixes où seul est animé un élément, de la fumée, un manteau au vent, perclus d’ésotérisme, associé un sens du fondu et du zoom propre à achever tout épileptique normalement constitué pour longuement souffler avec des passages bien statiques donnent un aspect déstructuré à une narration visuelle collé sur un conte cruel plutôt linéaire. On sent une volonté de choquer, d’expérimenter à chaque seconde, mais là ou le film passe d’une bizarrerie baroque caprice de hipster à un vrai grand moment de ciné c’est par sa musique originale. Véritable opéra rock psychédélique dans un anachronisme total par rapport à son sujet (la sorcellerie au moyen âge) mais égal musical des dessins style flower power sanguinaire faisant de Belladonna un être à part auquel on pardonne aisément les fautes de goût liées principalement aux rares instants où le poids des années se fait sentir. Planant.


Déterrer ce film aujourd’hui à travers sa restauration, c’est ouvrir une capsule temporelle où un 33 tours d’inédits de Magma côtoieraient des photos du Vietnam et un numéro de playboy dans un relent de patchouli. Trip au sens premier, ovni de l’animation japonaise dont elle ne reprend aucun code, je le conseille avec la force de mille soleils à tous les amateurs d’expériences à part.


Belladonna a ce côté baroud d’honneur d’une époque déjà en train de faner à sa sortie, donnant un parfum capiteux à ses images en accord parfait avec les tonalités psychédéliques non exemptes de fausse note. Cette œuvre unique, expérimentale en tout point, accède aujourd’hui au statut de curiosité culte qu’elle mérite. Elle s’en fiche mais nous on est content d’en prendre plein les yeux.

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le 20 juin 2016

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