Se faire la trilogie Belle et Sébastien n'est pas un acte vide de sens. Cela implique d'abord de sacrifier une certaine posture cinéphile en s'abaissant à aller s'infliger une vulgaire carte postale pour la région Rhône-Alpes manufacturée par notre cinéma français médiocre pour divertir la plèbe. Sur SensCritique, ce sont des choses qui ne se font pas. On préfère donc en premier lieu tourner ça comme une blague.
Mais tout de même, cette bande-annonce qui tourne dans les salles depuis quelques semaines, et qui nous montre un Clovis Cornillac sapé comme un méchant de Sergio Leone qui tire au Gewehr 43 depuis son fourgon blindé, elle t'envoie des vibes de badasserie bien peu normales pour un film de cet acabit.


Et il se trouve qu'en fin de compte tu as quand même bien aimé le premier métrage de National Geographic avec ses plans au drone sur des bouquetins courant dans la montagne et s'accouplant avec des oiseaux sur une chanson nostalgique reprise par Zaz, ses punchlines de bébé cadome absolument mémorables et ses méchants nazis beaux gosses et finalement gentils. Tu cours donc le mercredi de la sortie du 3ème opus à la première séance de 10h45, en te persuadant toujours que tu y vas par curiosité ironique et pas par émerveillement puéril et régressif envers les films d'aventure initiatiques pour les enfants de 8 à 12 ans.


D'où ton incapacité relative à savoir en sortant de la salle si l'impression d'avoir vu un film de survie haletant, sachant déployer une tension rare et une émotion toute larmoyante quand elle te prend par surprise, le tout avec des morceaux de Brimstone, de The Revenant et de Mad Max Fury Road qui flottent à la surface, est plutôt due à la surprise de voir une production hexagonale familiale contraster si brusquement avec l'académisme du reste du paysage, ou à l'ivresse délirante provoquée par le petit cocon infantilisant que constitue cette embardée montagnarde sublimée par une neige blanche aussi immaculée que l'innocence du petit garçon dont on suit les aventures en oubliant que le passage à l'âge adulte qu'il est en train de franchir, on est aussi en train de le vivre, depuis que des scientifiques ont démontré que l'adolescence s'arrête à 24 ans.


Parce qu'on le constate déjà en voyant que le nom du jeune et prometteur Félix Bossuet apparaît en premier dans le générique de début, avant les noms de ses bien plus illustres collègues adultes (rompant avec cette habitude agaçante de mettre les noms les plus bankables des acteurs adultes en tête d'affiche quand bien même les acteurs en question n'apparaîtraient que 10 minutes face à ton casting essentiellement enfantin) : le héros du film, c'est Sébastien. Son père qui accaparait l'écran dans l'épisode 2 se retrouve parachuté au Canada, laissant à son gamin pour seul allié adulte un Tchéky Karyo moins cabotin que dans les deux précédents. Ici, le fait de mettre un personnage enfant comme personnage principal n'est pas un prétexte pour reléguer sa quête au rang de sous-intrigue servant comme prétexte pour plutôt parler de l'histoire d'amour ennuyeuse de ses deux parents plus ou moins biologiques. Et cet unique adjuvant adulte, on ne manquera pas de l'enfermer dans un placard, ou dans une deux chevaux aux pneus crevés, pour laisser le champ libre à Sébastien engagé dans des face-à-faces fordiens contre un Clovis Cornillac sublimé par des fulgurances d'une mise en scène découpant sa cape noire et le pare-choc de son massif tout-terrain hérissé de pointes à la manière d'un War Rig de Buzzard, contre le blanc de la montagne, dans des contre-plongées posées et glaçantes.


Ce salaud cruel et omnipotent, qui semble tout droit sorti d'un conte de fées modernes ou de La Nuit du Chasseur, incarne le démon intérieur que doit combattre le héros pour surmonter une transition difficile ; un passage dans un nouvel âge de la vie. C'est là tout le sens de le montrer braver une tempête de neige seul, portant un fardeau trop lourd pour lui, et atteindre au péril de sa vie un refuge isolé lui permettant de se retirer du cycle du monde et tenter de protéger son bien le plus précieux.


Parce que le personnage co-titulaire du film, qui était cantonné à un rôle assez mécanique dans un deuxième film définitivement très dispensable, est ici replacée comme le coeur dramatique et émotionnel du film. Car cette chienne massive mais discrète, fidèle mais incontrôlable, d'un anthropomorphisme qui rappelle le Milou d'une autre histoire de montagnes, représente bien plus que le simple archétype de l'animal adopté par un enfant au grand coeur. Jean Ferrat nous avait bien prévenu que la Montagne est Belle, et on ne peut que le constater en voyant que ce chien incarne toute la tension d'une nature bienveillante, rassurante, qui est pour le héros un environnement familier (lorsque Belle sauve Sébastien du froid en l'enrobant de son pelage), mais qui peut également se montrer instable et capricieuse, obligeant l'adolescent à chasser pour sa survie et à affronter la faim pour punir la vanité de sa tentative d'émancipation (lorsqu'elle mange toutes les rations de saucisson savamment et naïvement préparées par lui).
L'enjeu du film, le combat qui se joue, ce n'est pas seulement la quête d'un chien volé, mais le déracinement d'un adolescent qui doit s'épanouir dans une ultime communion avec sa terre natale ; familière, rassurante et faussement douce, comme semble l'être l'enfance, et un âge adulte inconnu, effrayant et lointain. Et quand Belle est capturée, ce qui se joue est toute l'angoisse d'un être abandonné et privé de son point d'attache à une rassurante dépendance, largué dans un monde dont il a sous-estimé les contraintes et les responsabilités. Une profondeur déchirante exprimé dans un sublime plan, dont on ne me fera pas croire une seule seconde qu'il n'est pas au moins largement inspiré de celui-là.


Bref, on a beau avoir vu Phantom Thread et Human Flow dans la même journée, ce sont les images toutes simples et bien peu inédites d'un personnage dépassant ses propres forces pour gravir une montagne, qui nous restent à l'esprit avec le plus d'insistance. Peut-être parce que c'est une histoire déjà racontée un milliard de fois, mais dont la mélodie familière est toujours un réconfort, surtout quand elle est prosodiée avec émotion et sincérité, et matérialisée par des symboles bien connus. J'avais derrière-moi deux vieilles dames et trois petits nourrissons, et tous les 5 gazouillaient d'effroi lorsque le méchant brandissait son fusil, et quand Sébastien s'effondrait dans le froid.


Une occasion de nous rappeler que même avec tous les psychopathes orduriers et violents du monde, le meilleur antagoniste de toutes les histoires, pour tous les gens de 7 à 77 ans, ça reste quand même ce connard de gamin enfoui au fond de nous, qui ne veut pas lâcher prise, et qui nous oblige à aller pleurer devant des films que la morale cinéphile réprouve.

Pilusmagnus
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le 15 févr. 2018

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