Ce qu’il y a de bien avec Paul Verhoeven, lorsqu’on lance sa filmographie, c’est qu’on est d’ors et déjà sûre que le hollandais violent ne laissera personne indifférent. Et à une époque où le cinéma a tendance à tendre le bras vers le politiquement correct et que le public peut s’offusquer de manière excessive face à un film déjouant ses attentes et qui aborde des sujets sensibles pour diverses communauté de gens, j’ai envie de dire qu’un film comme Benedetta fait du bien.


Du bien dans le sens ou Paul Verhoeven montre qu’il existe encore des cinéastes capables d’être frontal et de traiter de sujet très sensible sans pour autant prendre son public avec des gants, et aussi dans le sens, donc, ou il ne cherche pas la provocation sulfureuse par pure complaisance. Il est lui-même conscient d’offusquer plus d’une fois les spectateurs, les polémiques et retours tranchants contre lui ne remonte pas qu’à Showgirls, on peut aussi parler de Spetters considéré pendant des longues années comme la pire réalisation du monsieur avant qu’il ne soit réévalué. Dans le cas de son deuxième film français, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il tombe à point nommé au festival de Cannes.


D’abord pour embellir la richesse du catalogue des films en salles étant donné qu’on a quand même eu des films malchanceux condamné à la plateforme streaming (et initialement prévu pour le cinéma). Ensuite pour faire perdurer cette tradition des films à sensations au festival du pays du fromage et du vin qui feront jazzer inévitablement une bonne part des spectateurs pour des raisons plus ou moins évidentes (ici c’est pas bien compliqué de comprendre pourquoi), et pour une troisième raison qui fait (volontairement ou non) office de mise en abîme avec les confinements subis depuis l’an dernier avec la pandémie mondiale (j’y ferais une allusion plus tard).


Benedetta, ça n’est pas plus une histoire d’amour lesbienne dans une Italie catholique stricte en proie à la peste noire qu’un film autour de la vision christique d’une bonne sœur très (trop ?) sensible à la foi, ou encore un questionnement sur ce qui relève de la présence divine ou bien de la pure manipulation sans oublier la mise à mal du puritanisme religieux (moins mise en avant que le reste au bout du compte). Et tout cela part avant tout du point qui fâchera les catholiques chevronnés et obtus : la vision du Christ par les yeux et le rapport à la foi de Benedetta Carlini et le rapport de celle-ci à la chair également brièvement abordée dès sa jeunesse.


Dans une courte scène qui a vite fait d’établir la crédulité ou l’incrédulité des sœurs du couvent de Pescia : Benedetta échappant de peu à la chute de la statue de la sainte de l’église, sainte exposant un sein à l’air libre que Benedetta goûte par curiosité et qui sera son premier pas vers son attirance pour les femmes qui finira par se manifester de plus en plus dans ses visions. Cela n’a l’air de rien mais sans que ça ne soit trop sur-appuyé par le cadrage ou les plans, Verhoeven nous met immédiatement en garde sur ce qui nous attend autour de la future abbesse. Entre le miracle apparent difficilement contestable, et les suspicions légitime sur une supercherie, la frontière n’est jamais très clair d’autant que Verhoeven décidera de ne jamais être totalement limpide sur la question et de laisser le choix au spectateur de croire ou non aux miracles de Benedetta.


On peut néanmoins creuser sur ce qui est avéré : l’amour de Benedetta pour le Christ, ou du moins l’image qu’elle en a et sa volonté de se rapprocher du divin. Débutant sagement avec sa première vision du Christ qui nous est offert


(Benedetta voyant Jésus accompagné d’un troupeau de mouton et inviter Benedetta à se joindre à lui et à sa marche)


, avant ensuite d’enfoncer un premier clou dans la représentation "classique" du bonhomme, puis un deuxième qui montrera une version plus bourrue et barbare du Christ, avant de donner une dernière version confirmant totalement l’attirance charnelle de Benedetta pour le corps féminin


en montrant un Jésus à vagin ne faire qu’un avec elle.


Image particulièrement déroutante, très parlante notamment sur le plaisir de la chair que Benedetta mettra en corrélation avec le divin et cette vision. Benedetta ne cherchant non pas le plaisir de la chair pour la chair, mais considérant ses expériences sexuelles comme un moyen pour se rapprocher du divin. C’est tordu, c’est même contradictoire avec les principes de l’église (contradiction voulue pour le coup), mais c’est couillu et une fois qu’on a conscience du mode de pensée de Benedetta c’est tout à fait pertinent.


Tout cela passe inévitablement par des événements liés au réel, et surtout par la nouvelle venue du premier tiers, Bartoloméa. Une paysanne victime indirecte de la peste et de la brutalité masculine, mais pour qui son rapport saphique avec Benedetta est plus sujet au jeu dans un premier temps, avant que cela ne prenne une tournure plus importante suite aux événements phares. Rappelant accidentellement l’attirance physique de Benedetta pour la chair féminine (le contact maladroit entre Benedetta et le sein de Bartoloméa, teasé dans la bande-annonce) et devenant surtout le premier témoin des manifestations divines touchant la future abbesse.


Ce qui complète la sève du personnage de Benedetta, c’est à quel point elle semble elle-même croire à tout ce qui se manifeste la concernant quand bien même on n’est jamais entièrement sûr de la véracité ou de la fausseté de ces manifestations divine désignant Benedetta comme une sainte au yeux de son entourage. Cela embrasse plus d’une fois le grotesque quand celle-ci croit à ces manifestations (l’entendre prétendre qu’elle est l’épouse de Jésus est déjà grotesque en soit… parce que l’épouse de Jésus officiellement si on s’intéresse à son histoire, c'est Marie de Magdala) alors que la moitié d’entre elle laissent facilement penser à de la manipulation de sa part


(les traces de couronnes d’épines sur la tête produit hors-champ avec un bout de verre renversée qui aurait pu être l’instrument de cette profonde scarification, ou le bout de porcelaine qui aurait très bien pu servir à se taillader la paume des mains en fin de film).


L’opposition entre le sacré et le blasphématoire est omniprésente, elle est d’ailleurs renforcée par la bande-originale d’Anne Dudley qui revient pour la troisième fois sur un film de Verhoeven. Leur collaboration fonctionne très bien jusque-là et ses compositions teinté de chœur religieux et de gravité dans les notes et la voix sont en très bon accord avec l’ensemble.


Benedetta confirme aussi le rapport de Verhoeven à la simplicité en termes de réalisation et de dialogues : sauf que si la rudesse de la mise en image se justifie avec le côté illustratif et très rude et discipliné du milieu dans lequel évolue les personnages sans pour autant retirer l’impact sulfureux des scènes érotiques (on va pas se mentir, en plus d’être très convaincante et impliquée, Virginie Efira a un très beau corps et sa première scène d’amour est excitante à voir), les dialogues me paraissent moins percutants et par moment plus maladroit dans ses choix de mots (même pour témoigner d’une forme d’innocence chez sœur Benedetta ça me laissait perplexe) alors que c’était une des forces de Elle ou cet aspect loquace renforçait l’humour noir et l’absurde des situations traversées par le personnage d’Isabelle Huppert.


Néanmoins, passé la simplicité de la réalisation, Benedetta à l’instar de Elle est loin d’être dépourvu d’humour : si il y a des répliques incitant facilement au rire ou des images potaches assumée (l’excuse bien sentie de mère Felicita pour pousser Cardini à payer l’entrée de Bartoloméa au couvent, la statue de la vierge taillé comme godemichet pour une partie de jambe en l’air), beaucoup d’autres sont discrètes et nuancés et laisse le spectateur interpréter quand il peut rire ou non sans que le film ne le lui impose (un dialogue entre Benedetta et le nonce joué par Lambert Wilson par exemple dans un dernier tiers pourtant plus grave).


Bien sûr, un point qui a déjà été soulevé, c’est la mise en abîme involontaire du film qui en a découlé avec le contexte sanitaire d’aujourd’hui et celui de l’époque : entre la période de la peste ou les villes fermaient les portes afin de limiter la contagion


(décision prise par Benedetta ou, là encore, l’ambiguïté est présente et nous laisse penser qu’elle est prise soit pour empêcher le nonce et l’ancienne mère supérieure de mettre à jour la supercherie de Benedetta, ou bien pour réellement empêcher la peste d’entrer à Pescia et de réconforter les habitants sur le signe apocalyptique décrypté par le passage de la comète rouge)


, et les 3 périodes de confinement que l’on a connu pour ralentir la propagation du Covid-19 (décision d’ordre gouvernemental ici). Il y aurait énormément à dire de ce côté-là en creusant mais je vais pas m’y attarder pour l’instant.


En revanche il n’est question de dénonciation du puritanisme catholique que dans le dernier acte ou celui-ci se montre enclin à condamner pleinement la relation saphisme au sein de l’église. Sans être sortie de nulle part et sachant être sarcastique par quelques touches


(le nonce invitant un malade de la peste à recevoir la bénédiction du prête de la localité où il passe, alors que ce malade est ledit prêtre de l’église du coin)


, on est moins dans le grotesque mais sans pour autant perdre toute la difficulté qu’on a à cerner une personnalité comme Benedetta qui semble convaincue de ses visions et de sa proximité avec le Christ mais laisse malgré tout croire qu’elle n’est pas la sainte tant décrite par le peuple (Bartoloméa elle-même n’y croit pas, sachant qu’elle n’est pas vraiment sujet à la piété ou au catholicisme).


Dernier tiers qui sait par ailleurs être très cru sans avoir à montrer certaines actions :


(la torture de Bartoloméa qui suggère beaucoup plus qu’il ne montre après explication du procédé, ce qui est plus insoutenable dans les faits et confirme l’attachement de Benedetta à cette paysanne au vu de sa réaction)


, continuer d’ajouter une vision clair-obscur sur la nature de l’abbesse et sa dévotion aveugle (là encore), et également condamner la bigoterie de sa vedette incapable de se détacher de son rôle de sainte, se complaisant dans ce qui peut aussi bien être pure mensonge ou miracle échappant à toute explication rationnelle. La manipulatrice se manipule t’elle soi-même autant qu'elle manipule les autres ou bien est-elle réellement une sainte victime des circonstances ? Chacun est libre de se forger un avis sur la question.


Benedetta va fâcher beaucoup de monde (si ce n’est pas déjà fait) et faire couler beaucoup d’encre, cela ne fait aucun doute et il rejoint la longue liste des films de Cannes à polémiques et à réaction à chaud avec un sujet sensible que n’aurait pas renié l’émission "Ça se dispute". Ce qui ne l’empêche pas, à mes yeux, d’être à la fois un film très sensible, à double visage sur son héroïne portée par une Virginie Efira magnifique d’ambiguïté, plus simple et un peu plus sage dans la forme mais toujours aussi provocateur et instable dans son fond, fascinant dans son rapport au divin et au blasphématoire en plus de savoir jongler sur différents tons comme Verhoeven avait su le faire avec Elle 5 ans plus tôt. Bref, du pur Verhoeven qui montre que, s’il est plus posé niveau mise en scène, il n’a rien perdu de son mordant.

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le 11 juil. 2021

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