C’est peu de dire que Verhoeven était attendu à Cannes : son film est tourné depuis trois ans, et il n’était pas question pour lui de le présenter ailleurs que dans un contexte de Festival : l’attention est à son comble, la tension est électrique, et tous les publics se retrouvent pour en découdre. Le réalisateur, pour qui la réaction du public est un spectacle, y trouvera donc l’écrin parfait, poussant dans ses retranchements la sainte trinité de son cinéma, sexe, religion et violence.


Benedetta est un massacre, bien décidé à aller provoquer les plus convaincus. La liste de ses laideurs et maladresses est longue, que ce soit par les filtres criards, du grand guignol outrancier ou des dialogues anachroniques. Qui se souviendra de l’ambivalence folle de Elle ne pourra que voir sa mâchoire se décrocher face à cet esprit général qui, dans une immaturité festive, accumule toutes les provocations possibles, de la scatologie à l’érotisme clinquant, des chairs malades aux éprouvantes scènes de torture.


Le sentiment de se retrouver devant une vaste farce ne se démentira jamais, les enchainements du récit s’organisant autour d’un crescendo délirant et ne s’embarrassant ni d’analyse psychologique, ni de crédibilité.
Reste à savoir que faire de tout cela. Verhoeven, qui a vu son film sur la vulgarité réhabilité (Show Girls), qui est parvenu à faire croire à un certain public que son film louait l’idéologie nazie (Starship Troopers) ou livré une partition sulfureuse sur le rape & revenge (Elle) est forcément posté en embuscade.


Il faut premièrement prendre le film pour ce qu’il donne dans son immédiateté : Benedetta est très drôle, et son rapport au blasphème on ne peut plus jubilatoire. On pense à cette insolence un peu immature d’une autre époque (les années 70 italiennes, par exemple), et ce désir iconoclaste d’aller frapper le sacré avec une vigueur juvénile. Une véritable complicité s’établit alors avec le spectateur, qui trouvera son apogée dans la scène où la servante enceinte du nonce se trait devant la mère supérieure : avec bonhommie, dans un regard complice et amusé. Ce que le sexe perd en chair, il le gagne en geste insolent : le couvent est une cour de récréation, et personne n’y est convaincant dans le rôle qu’il joue.


Car c’est là le deuxième point essentiel d’un film dont on a souvent du mal à discerner le propos. La provocation gratuite s’évapore instantanément, et face à une absence d’épaisseur, on est vite tenté de considérer le cinéaste comme un troll nous livrant un nanar potache. Mais son rapport à la violence et au sexe s’inscrit dans une époque, et au sein d’un système, celui d’une véritable dictature idéologique dans laquelle les corps sont les pires ennemis des individus, à qui on explique que la souffrance sera leur dialogue avec Dieu. Dès les premières séquences, le grotesque s’invite : une chiure d’oiseau, un baladin pétomane donnent les codes du spectacle médiéval. La négociation d’une dot et la représentation avec cordages d’une élévation montrent l’organisation du mensonge au sein d’une église vénale, politique et propagandiste.


Au sein du système, Benedetta est une illuminée qui fait de sa croyance un imaginaire enfantin (ses rêves avec un Christ en warrior de série B) et participe à la supercherie pour propager la parole sainte. Puisque tout le monde ment, et que tout est interdit, la vérité ne devient plus que le déversoir aux pires instincts. La Peste, fléau de Dieu, est aussi la revanche des corps, et symbolise à elle seule ce grotesque qui jaillit en gerbes éruptives incontrôlables. Benedetta est une adolescente qui découvre son corps, une showgirl, un homme qui objective sa partenaire, une aliénée, Jeanne d’Arc, une Eve parodique. Verhoeven, par la violence qu’il inflige au spectateur, explore une catharsis à plaie ouverte : son héroïne est la pure créature de l’univers de fiction que la foi a écrit au fer rouge.

Sergent_Pepper
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les films les plus attendus de 2020, vu en salle 2021 et Festival de Cannes 2021

Créée

le 10 juil. 2021

Critique lue 7.8K fois

157 j'aime

16 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 7.8K fois

157
16

D'autres avis sur Benedetta

Benedetta
Plume231
8

Shownuns!

Alors un de mes réalisateurs préférés dirigeant dans un rôle principal une des actrices préférées, autant le dire, Benedetta était une de mes plus grosses attentes de l'année ̶2̶0̶2̶0̶ 2021...

le 12 juil. 2021

75 j'aime

26

Benedetta
JasonMoraw
8

Pilonner le blasphème par le God

Paul Verhoeven est un éternel franc-tireur. Un crucifieur de la bienséance. Un provocateur controversé. Son cinéma reprend sa place d’instrument de libération bien décidé à s’absoudre des...

le 12 nov. 2021

60 j'aime

9

Benedetta
Jb_tolsa
4

Tétouffira

C'est Brigitte. Elle est vive d'esprit, et au moyen âge, les filles vives d'esprit finissent violées ou au bûcher. Habile, son père la sauve de ce destin tragique et la place dans un couvent contre...

le 6 janv. 2023

55 j'aime

30

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

765 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

700 j'aime

49

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53