Passé sa trilogie du cinéma d’animation en motion capture, Robert Zemeckis est revenu aux sources avec le cinéma en prise de vue réelle mais sans pour autant atteindre l’apogée de ses débuts. Ayant perdu une partie de son public à partir de ses métrages animés, j’ai moi-même eu du mal à retrouver l’engouement qu’avaient suscité ses premiers films. Bien que ses derniers ne m’ont jamais suscité l’indifférence durant leur campagne promotionnelle et Bienvenue à Marwen, directement inspiré du documentaire Marwencol autour de l’ex-marine Mark Hogancamp et de l’agression dont il a été victime, n’y fait pas exception.


L’idée en soi est simple, montrer une figure centrale tirée d’une personne ayant existé ou existant encore afin de le faire surmontant un traumatisme ou échapper à une réalité dure à accepter par le biais de son imagination. L’introduction en elle-même est assez parlante et bien mené sur cet aspect, avec sa caméra qui reste proche de Mark sans la moindre coupure nous dévoilant son petit jardin de maison de poupée en extérieur puis en intérieur.


Et l’ouverture du film nous présentant le soldat Oggy, une vision idéalisée de Mark à quelques exceptions, introduisant les dames de Marwen et la menace qui plane constamment autour du groupe, symbolisant le quintuple de brutes ayant agressé Mark il y a maintenant 3 ans (même si l’allusion au passage à tabac par les nazis est aussi fine qu’un marteau piqueur sur un chantier, la séquence en vraie attendant déjà d’être dévoilée depuis les BA) fonctionne aussi plutôt bien en-elle même comme point de départ.


Mais malheureusement, Bienvenue à Marwen commet l’erreur de bon nombre de films adaptés de faits réels : celle de se centrer sur sa figure centrale 90% du temps pensant qu’il suffira à faire vivre le film sur sa durée, ce qui n’est pas le cas selon moi. Mark Hogancamp étant un drôle de phénomène partageant un fétichisme pour les chaussures à talon aiguille et dont les femmes de Marwen sont toutes directement inspirés de son entourage, mais se révèle transparente et caractériellement fade en tant que groupe ou individuellement


(Julie n’a qu’un flash-back de 15 secondes lors de la rééducation de Mark, une autre n’est qu’une reprise d’une actrice pornographique d’une série télé ridicule, la première que l’on voit en vraie est une russe à l’accent à couper au couteau quand à Robert et Caralala elles ont beau avoir un peu plus de présence, elles n’ont aucun impact sur les décisions de Mark).


La seule qui ait plus de consistance et de complétude dans son écriture est sa voisine Nicole mais dont l’introduction dans le petit monde de Marwen tombe comme un cheveu sur la soupe


car elle surgit à moitié de nulle part et voir Oggy reconnaître que ce qui se déroule dans ce petit village n’a aucun sens (comme le coup des talons créer en 1954 alors qu’on est dans la période 39/45 du siècle dernier, anachronisme voulue) ne suffit pas à camoufler ce manque de fluidité.


Et si en plus elle est aveugle au point de ne pas se rendre compte de l’inspiration très évidente du personnage en mannequin sur elle rien que par la reprise de son prénom, alors qu’elle a fait connaissance avec Oggy il y a peu, ça ne la rend pas plus engageante. J’ai même envie de dire qu’on se déconnecte légèrement de la réalité dans son cas avec sa réaction incroyablement lente alors qu’elle semble pourtant plus proche d'une personne ordinaire malgré son petit fétichisme.


En parlant fétichisme, je vais pas m'attarder sur le fait qu'Hogancamp m’a parfois mis mal à l’aise en évoquant ses inspirations sans honte alors qu’il utilise quand même des poupées mannequins assez sexualisés (ça a beau n'être que des poupées et concerner mon point de vue sur l'art, le voir les prendre en plusieurs clichés tout au long m'a fait arquer les sourcils au vu de leur look) et qu'il avoue sans honte l’origine de ses inspirations à une femme qu’il a rencontré fraîchement en chair et en os. Mais là ou la bizarrerie d’un personnage comme Forrest Gump fonctionnait car les gens qu’il croisait le trouver souvent tout aussi bizarre et avaient au moins conscience de son retard mental, ici ça a du mal à fonctionner malgré son amnésie critique (je comprends que son entourage soit bienveillant avec lui depuis l’agression, mais peut être pas au point de laisser passer certains points… jugement personnel surement dû à la découverte du premier visionnage, mais bon) car c'est pas à un attardé mental qu'on s'adresse mais à une personne dont la souffrance personnelle est souvent utilisé pour faire passer des détails qui m'ont personnellement bloqué.


Et enfin, mon dernier souci avec ce film concerne la place que prend l’imaginaire d’Hogancamp avec sa vie réelle. Peut être est-ce vrai dans la vie du vrai Hogancamp, mais utiliser le nazisme pour démarquer les agresseurs de Mark et les combattre dans son monde fantasmé c’est pas évident à manier subtilement, et ça n’est pas le cas ici.


Si il évite la diabolisation extrême du petit groupe pendant plus de la moitié du film, le piège se fait présent lorsque l’un d’eux prend l’apparence d’un nazi lors de la première audience et prend même une dimension comique proche du grotesque (volontairement ou non) lorsque Mark regarde son show érotique à la télévision.


Et ça n’est pas tellement mieux avec le personnage de Deja Thoris pour qui j’ai du mal à voir une vraie symbolique des peurs de Mark, tant sa place dans le petit univers inventé par l’artiste paraît hors de propos même pour un monde qui assume son non-sens, et tant on a parfois l’impression que cette Deja Thoris pourrait venir d’ailleurs qu’être une représentation négatif des pensées qu’il a de lui-même.


En soit, je ne pense pas qu’il soit objectivement mauvais comme l’ont dit certaines critiques américaines. Techniquement il est propre, il a parfois de jolies scènes qui se distinguent du lot, une BO correcte d’Alan Silvestri, collaborateur de toujours du cinéaste, et un bon Steve Carell pour tenir le rôle principal. Mais à mes yeux il démontre un peu plus des difficultés de Robert Zemeckis à retrouver le charme de ses premiers films avec des personnages bizarre comme Forrest Gump mais empathique comme tout, ou même à créer un aspect expérimental qui faisait le cachet de Beowulf, Le drôle de Noël de Scrooge et Le pôle express. Peut être cela est dû à un premier visionnage pendant lequel j’ai été dubitatif sur certaines choses, mais toujours est-il que je n'ai pas été emporté.

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le 2 janv. 2019

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