J'ai longtemps attendu que Burton cesse enfin de bégayer son cinéma, qu'il soit de nouveau capable de faire du neuf avec du vieux, de rester dans un univers identifié, tout en nous montrant qu'il n'en a pas encore fait le tour. Donc débarque Big Eyes, dont je ne peux pas comprendre qu'il se dise de ci de là qu'il serait son film le plus personnel, alors que ce film n'appartient à personne.

Je m'explique sur ma note généreuse, avant de souligner les lacunes (une surtout !). Amy Adams a volé mon coeur, je ne dirai pas encore qu'elle est une immense actrice, je dirai juste qu'elle a ce charme désuet, cette moue boudeuse, ce nez légèrement retroussé qui font que je lui pardonne à peu près tout, du moment que ses grands yeux font mine de me regarder, moi, au moins une fois par film. Sans en être autant amoureux, Christoph Walz me laisse encore admiratif devant une prestation capable de tout et qui m'a donné plus d'une fois l'envie de finir son personnage de Walter, infâme salopard, à coups de pieds dans la tronche ! Ce sale mec a crié toute sa vie que c'est lui qui peignait les grands yeux, contre toutes les apparences, pathétique jusqu'à l'extrême.

Contrairement à d'autres (suivez mon regard), j'ai trouvé l'histoire de Margaret captivante, cette femme qui, en dépit du bon sens, mais prisonnière d'une époque où la femme était encore soumise au mari, va se laisser enfermer dans un mensonge qui lui volera son nom, son talent et surtout sa personnalité. Mais elle parait quand même très cruche sur la fin quand, pour que son mari accepte le divorce, elle accepte de lui signer 300 tableaux du nom de Walter Keane. Là j'ai bien cru que j'allais la traiter de tous les noms la Margaret.

Mais il y a bien des défauts dans ce film, qui nous rappellent que le réalisateur de Batman ou Edward Aux Mains d'Argent et définitivement mort et enterré. Le moindre de ceux-ci est cette bande originale omniprésente, oppressante qui tente de nous raconter l'histoire d'une manière encore plus lourde que ne le fait la voix "off". Il y a aussi ce bête "Basé sur des faits réels" qu'on nous martèle d'entrée à chaque histoire vraie, comme s'il était devenu un label qualité et qui laisse entendre que, si on n'aime pas le film, alors on n'aime pas ces personnes qui ont réellement existé.

Mais la pire des tares ici, est de découvrir que Tim Burton ne sait pas filmer et là je sens monter la colère des fans (dont j'ai fait partie je le rappelle). Mais je m'explique, jusqu'à il y a…longtemps, Burton savait mettre en scène et savait remplir le cadre d'un univers riche et bourré d'imagination, les deux ajoutés faisaient illusion. L'image était riche grâce à cette double compétence: Burton savait créer un univers atypique, mais aussi savait comment organiser cet univers pour la caméra. Le fait alors que sa caméra film de manière excessivement classique au point d'en devenir banale, passait tout à fait inaperçu.

Sauf que dans Big Eyes ça se voit, ou plutôt ça se ressent car, contrairement à une succession de plans de génie, l'absence de génie se ressent à la fin d'un film, avec ce goût étrange de n'avoir pas vu un mouvement de caméra qui vous chamboule. Bref c'est plat, Burton utilise la caméra pour filmer et non pour peindre. Ajoutez à cela le fait que l'univers de Burton a ici presque totalement disparu (à part peut-être le tout premier plan de cette banlieue typique qui rappelle furieusement celle d'Edward) et il ne vous reste que…pas grand chose. La mauvaise foi dira qu'il y a Christoph Waltz mais là encore, Burton n'est pas Scorsese et encore moins Woody Allen, capable autrefois de prendre un tâcheron d'acteur pour en faire un génie de la comédie. Quand Christoph Waltz joue bien, il ne le doit qu'à Christoph Waltz.

Voilà donc où nous en sommes, avec un Tim Burton qui nous prouve que, quand on est au fond…on peut toujours se mettre à creuser mais qui laisse néanmoins son film se débrouiller sans lui et sauver ce qu'il y a à sauver. La tentative était belle, mais là où Ed Wood (autre biopic de Burton) savait transcender là réalité pour mieux la retourner, Big Eyes (sans être mauvais) et sans doute le film le moins personnel de Tim Burton, c'est en fait le film de n'importe qui...
Jambalaya
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le 25 janv. 2015

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