Tim Burton devient prévisible. Et pourtant, qui n'aurait pas rêvé d'une renaissance ? Un soubresaut à la Sweeney Todd qui m'avait conquis à nouveau, avant d'enchaîner sur les commandes Disney. Pas une période honteuse en elle même, mais creuse, uniquement habitée par le visuel du réalisateur, que Frankenwinnie est venu consacrer. Cet objet était la quintessence de son recyclage stylistique, la marketisation du produit censuré quelques décennies auparavant par les mêmes studios, sorti en version rallongée et étendue, toujours polie et nostalgique, en restant complètement stérile. On n'est plus là pour être ému (comme chez Ridley Scott), mais pour se rappeler ce que c'était, avec quelques passages attachants ça et là (à ce jeu, Dark Shadows était bien rodé)). Mais voilà, Tim a un sursaut d'estime, un tressaillement de poète blessé qui se rend compte avoir prostitué son style et qui veut faire amande honorable. Oh, pas dans la vie réelle, grands dieux ! Dans un film hollywoodien !

Son identification au style de l'actrice (glauque dépressif avec un soupçon d'ingénuité), son phagocytage en mode photocopieuse, sa petite victoire finale en paillette... Tout est d'une sécheresse insupportable. Par moment, la sincérité fonctionne, mais elle devient rapidement plombante, quand on découvre que le récit n'a rien de consistant à offrir. Le petit drame d'une mère avec enfant qui quitte brutalement sa banlieue (l'époux est évacué hors du récit, et sa seule réapparition en fait un vampire identique au personnage de Christophe Walz), qui se relance et retombe dans le piège avec sa touchante ingénuité. Le numéro d'acteur est opérationnel, l'envie de sentiments est sincère, mais le film a beau essayer, jamais il n'atteint le degré d'implication recherché. Dans la démarche, j'ai très envie de comparer Big Eyes avec Ma vie avec Liberace. C'est l'histoire d'un couple qui éclate peu à peu à force de mensonges. Mais Ma Vie avec Liberace jouait la proximité à fond, ajoutait des détails vicieux, il utilisait même un humour à double tranchant. Ici, c'est la platitude du quotidien qui revient, et l'illustration commune d'un désespoir bateau. Le spectateur n'est pas impliqué dans sa victoire, c'est sa victoire à elle, et son enthousiasme. Pourquoi ce premier degré, si cher à Burton (Edward n'a pas vieilli dans son ingénuité), se révèle inopérant dans ce film qui fait pourtant quelques efforts de sobriété ? Pour au moins deux choses ! Premièrement, le jeu de Christophe Walz. Cet acteur a un charisme dément, aussi, il est parfait dans le rôle quand il s'agit de bonimenter et de sourire comme un piranha. Sincèrement, jusqu'à la dernière minute de son procès, on a une once de sympathie pour lui, qu'importe les crasses qu'il ait fait. Mais cette frivolité anéantit la gravité de son jeu quand il essaye de développer son personnage. Le voilà qui essaye de jouer les grands méchants en jetant des allumettes sur sa femme et sa fille terrifiées. Le voilà qui tente de parler de sa frustration de ne pas être artiste... La pute sadique qui essaye de se faire passer pour un ogre de pacotille... On voit bien le côté bonimenteur, mais dès qu'il est sérieux, son personnage devient ennuyeux. Pas méchant, juste ennuyeux. Et quand il sourit, on l'aime. Inutile de dire combien l'héroïne devient insipide dès qu'il rentre dans le cadre. Deuxièmement, où est passée la poésie ? Il n'y a rien de consistant dans Big Eyes ! Preuve à l'appui : les séquences avec les gros yeux ! Elles ne signifient rien ! Il n'y a aucune symbolique, aucun message, aucun sens ! C'est juste un style gothique de carte postale à la Mark Ryden (en plus de jouer le kitsch, il jouait aussi le mind fuck trashouille), séduisant, mais creux. Et le film use d'effets encore plus pauvres pour l'illustrer. Ce n'est pas en brandissant son propre vide qu'on fait preuve de conscience, on étale juste à la face du monde combien on est incapable de changer.

Le film, pour tenter de rappeler les premiers fans, va même jusqu'à cirer les pompes des critiques d'art élitistes (ceux qui critiquent donc son style commercial à la Alice in Wonderland) en leur donnant raison et donc en les ralliant à lui. Mais l'enthousiasme du ton ne traverse pas la toile de projection. Tim, pourquoi vouloir faire une rédemption sur pellicule ? Si tu veux passer à autre chose, montre le nous ! Pas la peine de perdre du temps à nous l'expliquer, en prenant pour prétexte un biopic fade habité par quelques bons acteurs et trognes connues. Enfin bon, on note que tu veux arrêter la prostitution et que tu prépares Miss Peregrine’s Home for Peculiar Children, et avec un nom qui pompe le style de Wes Anderson, on demande à voir le résultat. N'ai pas à rougir du style gothique qui a tourné au kitsch, tant que tu essayes de soigner les sentiments avec un peu d'intelligence (en soignant ton sens du manichéisme), on te suivra.
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le 20 mars 2015

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