Birdman, favori de nombreuses cérémonies, premier film d'Alejandro Gonzalez Innaritu produit complètement par Hollywood et film d'auteur, part avec de nombreux aprioris de taille que ce soit pour un public néophyte ou confirmé. Birdman, raconte l'histoire d'un acteur, Riggan Thomson, tombant dans l'oubli et essayant malgré sa vie qui s'écroule, de retrouver sa gloire passée.

Le film démarre sur un générique très puissant traitant des faux semblants révélé par les percussions d'Antonio Sanchez et d'une citation, deux des leitmotiv couvrant la totalité du film, une entrée en matière superbe.
Dès les premières minutes on retrouve la multipersonnalité des comédiens, omniprésent dans Birdman. Ce concept est traduit par une importance particulière donnée aux miroirs (toutes les scènes de coulisses) renforcés par des dialogues qui font plus réalistes que le réel (deux scènes on cet effet : la scène où Mike est saoul sur scène créant une confusion, comme pour la scène où Riggan ment à Mike en jouant). Et justement quand Riggan détruit le miroir de sa seconde peau, l'affiche de Birdman, il révèle qui il est vraiment aux personnages témoins de cette destruction. Néanmoins, cette vérité est annihilée par le retour du miroir et le mensonge de Naomi Watts. Riggan a donc une multipersonnalité, entre la scène et la réalité, mais aussi profondément en lui, il est atteint d'une sorte de double personnalité très ambiguë, fascinante et renforçant le thème développé au-dessus.

Mais le choix le plus artistique, le parti pris le plus impressionnant dans cet amas de beauté, est l'utilisation du plan-séquence sur deux heures, où le point est toujours bon et même la durée très bien pensée (Scène Tarantinesque où la caméra tourne autour des personnages). Certes à proprement parlé ce n'est pas un plan séquence car il y a des changements de temps à certains moments, mais Iñárritu se joue des règle du plan-séquence, un peu de la même façon qu'Hitchcock (La Corde) et De Palma (Snake Eyes), en faisant des coupes presque invisibles à certains moments clés et en utilisant l'environnement afin de traverser un lieu pour aller à un autre sans arrêter le plan. Aussi, le plan-séquence est caractérisé pour capter une durée réelle, mais Iñárritu se joue de cela, répartissant la narration sur trois jours, et non deux heures. C'est un effet de style, on pourrait alors se dire qu'il n'est là que pour une dimension purement intellectuelle ou esthétique mais qu'il n'y a aucune recherche derrière, cependant, ce plan séquence marque la frontière entre le réel et la fiction, dans le sens où cet effet de style me donne à penser que nous sommes le Birdman suivant Riggan, ce qui justifierait l'évanescence de la caméra toujours en mouvement, une sorte d'entité omnisciente renforcé par le passage de la caméra à travers un tas de discussions. Même le plan sur le couloir au centre du film insiste sur cette thèse que la caméra représente le mystérieux Birdman, qui attend patiemment et poursuit Riggan sans relâche psychologiquement puis physiquement pour parvenir à ses fins. Un autre lien fait à cet thèse est, je trouve, l'arrivé du personnage de Birdman, physiquement. Elle est inattendue après 100 minutes de film, grandiose et vecteur de l'action, mais surtout elle traduit de la fusion temporaire de Riggan et Birdman, par cela Riggan devient un Dieu, il influe non seulement sur la réalité diégétique mais aussi sur la réalité filmique (il coupe et relance la musique), il devient à son tour omniscient, ce qu'était Birdman jusque là. Le point de vue choisi est alors assez unique dans l'histoire du cinéma, surtout contemporain, le spectateur est le Birdman qui hante Riggan (le protagoniste), un personnage omniscient, diégétique (Birdman) et donc filmique (le spectateur). En outre, les situations et les dialogues derrière cet élan esthétique et symbolique majeur sont très bien écrits, chaque dialogue marque une information déterminante de la narration et surtout les dialogues qui confondent la réalité et la fiction, mais aussi ceux qui traite de la satire.

La satire est un thème implicite mais très important du film d'AGI. Il y fait la critique du système des comédiens américains avec la concentration des sociétés sur les films de super-héros, Avengers (satire de Jeremy Renner et Robert Downey Jr.) mais aussi de leur progressive inculture (Roland Barthes inconnu pour la productrice) ou même de l'attitude des acteurs envers les auteurs (développé dans la scène où Mike étouffe Riggan en lui demandant de changer les répliques de sa pièce). Plus tard dans le film sera développé la critique de l'accessibilité immérité de l'art, de façon exponentielle, faite par la critique littéraire. Elle y voit des acteurs qui n'en sont pas, qui ne sont seulement que des célébrités, des enfants pourris gâtés. Enfin, près de la fin du film, on retrouve la satire des films d'actions (Blockbusters) par le personnage de Birdman et par les passants dans la rue, quand la ville "explose". Il y a donc une dimension autobiographique à deux niveaux avec Riggan et Iñárritu, qui laisse un sentiment vertigineux.

Autre chose, l'irruption du fantastique est très différente de ce que l'on a l'habitude de voir, elle n'est pas au service de l'action à proprement parlé, c'est plutôt une façon de décrire le personnage sous une autre facette, elle est un faible vecteur narratif mais un grand vecteur psychologique. Les effets spéciaux ne sont donc pas là pour créer de l'action (mis à part dans la scène de satire des films d'actions), mais afin d'intensifier le propos de la mise en scène mise en place. La voix-off participe à ce concept du fantastique avec une voix très rauque typique du super-héros, un hommage mais aussi un processus dramatique qui souligne la schizophrénie complexe qui s'est emparée de Riggan. On a aussi les coulisses du théâtre vu d'une façon plutôt rare que l'apprécie beaucoup. C'est une écriture très pure sur les coulisses, surtout avec le passage de la première de la pièce de Riggan. On voit les regards des comédiens très dédaigneux, les acteurs entrent en conflits de façon répétitive mais portent des masques pour le public, afin de servir au sujet du film, la multipersonnalité des comédiens.

Il faut préciser que la mise en scène n'est complètement pas altérée par le plan-séquence. La composition relève déjà de partis pris esthétiques avec les focales (grand angle dans les couloirs et focale plus réaliste pour les scènes fermées), mais aussi au niveau des couleurs et de lumières, le film est magnifique à regarder, les couleurs s'opposent et représentent chaque personnage (par exemple le premier dialogue entre Riggan et Laura, cadré avec un rouge sublime/ des flares bleus qui vacillent quand Riggan est sur scène qui souligne l'envie de Riggan de retourner au cinéma, avec toujours une opposition entre le théâtre et le cinéma, les tons verts sombres de la pensée négative intérieure face à un orange très chaud, qui traduit d'une ambiance plus vivante surtout avec la scène sur le balcon entre Sam et Mike, avec une lumière rembrandtesque.
Il ne faut pas aussi oublier le travail fantastique fait sur les transitions, les timelapse ne permettent pas seulement de servir de continuité à l'action, mais aussi de situer le spectateur dans le jour dans lequel il se trouve. Ici, le premier timelapse est déroutant d'ingéniosité et de maîtrise, avec un travelling arrière inconcevable entrant dans la loge de Riggan. Ensuite avec la scène entre Sam et Mike sur le balcon de la scène qui descend sur la scène par grue. Mais la plus impressionnante est celle pour arriver à la scène de la première de la pièce. Avec un plan séquence, il est vraiment difficile de faire cette transition (1. Riggan entre par la porte d'entrée du théatre, 2. Scène entre Riggan et Sam, 3. Panoramique latéral, 4. la caméra devrait retourner à l'entrée où est passé Riggan mais se retrouve sur la scène du théatre. Magie?). Enfin je trouve aussi que le choix de rester 10 secondes sur un couloir très fin sans action ou personnage, est vraiment parlant. La caméra est alors complètement indépendante de l'action, elle agit pour elle-même, comme une sorte de personnage. Comme Birdman, regardant sa propre affiche brisée au fond du couloir avant de suivre Riggan.

Pour ce qui est de la bande-son, c'est plutôt agréable. Elle se synchronise très bien avec les dialogues et vacille entre le diégétique et le filmique, ce que l'on voit très bien dans la scène dans la rue entre Riggan et Mike qui passe devant le batteur de rue. Iñárritu se joue de ça pour renforcer son thème de la frontière réalité/Fiction. Elle apporte aussi un grand rythme et une montée en tension durant quelques scènes, intensifiant leurs portées. L'errance de Riggan sur une composition de cordes est d'une beauté incomparable, ponctuée par l'acteur de rue influant sur la réalité en reprenant étrangement le même dialogue que la première scène, changeant le théâtre de Broadway en théâtre de la vie.

Le fait qu'Iñárritu choisisse de donner une réponse dramatique aux capacités surnaturelles de Riggan par la schizophrénie, ce qui est beaucoup plus fort, pour moi, qu'une simple irruption fantastique. Cependant, la dernière scène nuance cette interprétation en fin ouverte où tous les choix sont possibles. Cette réponse met quoi qu'il arrive en évidence le statut psychologique de démence d'acteurs dans l'oubli, ce qui correspond à la répétition de la scène où Riggan se suicide dans sa pièce jusqu'au moment où il passe réellement à l'acte et est acclamé par la foule, on retrouve alors une nouvelle critique, celle d'une société des faux semblants, faisant écho au générique. La séquence montage à dix minutes de la fin est, je pense, une continuité msytique du plan séquence qui reprend quand Reagan se réveille, c'est pourquoi je pense qu'il n'y a pas de coupe symbolique, seulement scénaristique. Riggan a alors fusionné avec Birdman. Sa réelle tentative de suicide permet à Riggan de faire son "chemin du retour", il a atteint tous ses objectifs, thématiques ou dramatiques, la mort est alors vue comme une renaissance, la destruction comme une force créatrice. Création qui cependant échangent les rôles, Birdman est devenu Riggan et vice-versa. Même l'objectif de sa seconde personnalité est accomplie, voulant être libre comme un oiseau, l'ambiguïté se retrouve alors enfin, avec le regard de Sam, énigmatique.

Pour toutes ces raisons, Birdman est une figure du cinéma contemporain. Loin de Biutiful, Babel et même 21 Grammes, la nouvelle perle d'Iñárritu est complète : esthétique, symbolique, très bien écrite que ce soit de façon narrative ou psychologique, avec des acteurs à leurs meilleurs et une pensée visionnaire du cinéma, ce film est en un mot historique. Birdman restera un des films marquants du cinéma contemporain.
Victor_Galmard
9

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le 13 févr. 2015

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Victor Galmard

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