Birdman pourrait se résumer à cette figure de style tant il en est constellé.
Je pense d'ailleurs qu'il faut voir ce film comme un prodigieux tour de force technique, une beauté froide et métathéatrale que la caméra nous livre directement.
Une mise en abyme, pour ceux qui l'ignorent, consiste à représenter une oeuvre dans une oeuvre de même type, ou d'inscrire des éléments qui se font écho entre plusieurs niveaux de représentations artistiques.
Birdman est construit ainsi.
Riggan Thomson est prisonnier de sa gloire passée en tant que héros de blockbuster en collants. Or, il souhaite adapter une oeuvre de Raymond Carver à Broadway où il n'est vu qu'à travers le prisme de son ancien rôle de super-héros. L'oeuvre de Carver, c'est sa vie, ni plus ni moins. Celle d'un pauvre mec, qui ne sait plus où il est, qui se questionne.
Broadway devient l'unique préoccupation de Thomson, persuadé qu'il pourra enfin dépasser son rôle de Birdman, montrer au gratin new-yorkais qu'il vaut mieux, et se débarrasser de sa mauvaise conscience, ce volatile à la voix gutturale qui ne cesse de le pousser à reprendre son ancien costume.
Il ne faut pas le nier, l'intérêt du film c'est Thomson. Non pas que les autres acteurs soient mauvais ou accessoires, loin de là, mais ils permettent juste de créer l'environnement de Thomson.
Et c'est un des éléments qui rapprochent le film d'une tragédie classique. Un personnage central, acculé, au bord de la folie.
Tourné comme un plan-séquence de 2h (exception faite de la coupe après la conclusion tragique, qui n'est pas pour autant la fin du film) mais à la manière d'Hitchcock dans "La Corde", avec des fondus en noir, le film ne bouge pas de Broadway (unité de lieu). Unité de temps, plus ou moins respectée, étant donné que l'intrigue se déroule sur 5 jours si j'ai bien compté. Unité d'action, bien que l'intrigue principale soit multiple, elle est respectée.
Si j'avais des bonnes notions en cinéma, j'aurais pu proposer un découpage par actes, mais je n'en ai pas la capacité.
Le jeu avec les portes est très significatif également, les personnages rentrent et sortent des mêmes pièces par des portes différentes. On assiste à un ballet de quelques personnages qui s'entrecroisent et se mêlent. Mention spéciale à Edward Norton et Emma Stone, très justes.
On pourrait aussi mentionner de nombreux autres aspects (gloire des protagonistes, terreur et pitié, blabla) mais ce serait indigeste.
Le fait est que toute cette mise en scène claustrophobique et ces mises en abyme, servent la confusion de Thomson. Tout est lié dans ce film, Birdman s'explique de lui-même et c'est assez rare pour être souligné. Plus le film évolue, plus les éléments se répondent et conduisent au chant du cygne de l'acteur.
[SPOIL] Une fois que Riggan se tire une balle, la pièce que l'on suit depuis la première seconde, s'achève. Mais pas le film. Après la succession d'images qui met un terme au long plan-séquence, moment que je n'ai pas compris, on retrouve Thomson dans un hôpital. Sur son visage, des bandages qui rappellent explicitement son alter ego en costume à plume. Ça y est, il a réussi, c'est la consécration. La critique est excellente, Birdman ne résonne plus dans son crâne et la pièce est un immense succès. Puis on a la fin, la dernière. Lorsque la fille de Thomson rentre dans la chambre d'hôpital, celui-ci n'est plus sur son lit et la fenêtre est grande ouverte. Mais il ne s'est pas suicidé, non, je pense que c'est juste symbolique. Birdman et Thomson ont trouvé un terrain d'entente, le succès, qu'il soit au théâtre ou au cinéma, ils ont fusionné. Et sa fille arrive enfin à voir son père comme on l'a vu pendant tout le film, doté de pouvoirs extraordinaires. Mais je pense qu'elle voit surtout le rêve de son père, que Thomson a réussi à partager sa vision de l'art à une personne.[SPOIL]
En fait, Birdman, c'est un film plastique qui parle de lui-même. Mais qui en parle si bien et avec une si grande bienveillance, qu'il n'est jamais grossier ou pataud. C'est une grande métaphore du langage, du jeu d'acteur, de l'art. Et ça touche juste.
Pour conclure, j'emprunte au personnage de Birdman son leitmotiv grand guignolesque : CROAAAAK.