Tout juste vu Birdman, mes premières impressions sont très positives. Je ne vais pas m'attarder sur les détails de la technique ou de la prestation des acteurs dont on a déjà dû vous rabattre suffisamment les oreilles. Je vais simplement me pencher sur une question qui a été abordée à plusieurs reprises par les critiques négatives que l'on peut lire par ici : celle du narcissisme présumé d'Inárritu, dont le dernier projet ne consisterait qu'en une valorisation personnelle (en restant cohérent, on a quand même bien du mal à voir en quoi) et une dévalorisation des autres façons de produire/ consommer/ apprécier de l'art. Je pense que la méprise est compréhensible, mais il y a méprise. Je peux comprendre, particulièrement, que lorsque l'on soit attaché à une certaine frange du cinéma grand public, qui est -vraiment très gentiment- moquée par Inárritu à quelques reprises, on puisse se sentir insulté ou agacé, mais dans ce cas là, il ne doit vraiment pas être de tout repos de fréquenter senscritique, et le propos essentiel du film devrait quand même vous intéresser.

Je ne pense que le thème central du film soit autre chose que la quête maladive de reconnaissance sous ses diverses formes, comme instigatrice des comportements et attitudes ayant cours dans les milieux artistiques. A ce titre, la tirade d'Emma Stone à la quarantième minute résume plutôt bien le propos (qui est martelé assez explicitement tout au long du film). C'est la dépendance aux considérations exogènes qui détruit le personnage principal (un thème assez universel, à cet égard, on se souviendra de Sunset Boulevard de Wilder dans la même veine), c'est ce qui le pousse à choisir son métier, c'est ce qui détermine ses orientations de carrière, le délaissement de sa vie personnelle etc. Il n'y a rien de véritablement honnête dans la démarche du personnage joué par Keaton (R. Thomson) ; il se raccroche désespérément à une illusion : son désir de voir se refléter et s'imprimer indélébilement dans les yeux des autres l'image qu'il voudrait être la sienne le conduit à la frustration et le rejet, la haine de ceux qui sont incapables de reconnaître sa propre valeur. Thomson ne vit que dans le vain projet de plaire à une audience qui lui est totalement étrangère, d'être considéré et apprécié comme un « véritable acteur », d'obtenir ses galons en tant que membre de l'élite broadway-ienne, et se perd dans les contraintes et la frustration qui accompagnent ce projet grandiloquent. A ce titre, son alter-ego, Birdman, représente la liberté et la plénitude ressentie par un ego narcissique (totalement pathologique) qui n'a besoin de rien ni personne pour construire une formidable estime de lui-même, un ego qui vole au-dessus des considérations des autres, méprisant allègrement les opinions divergentes, les considérations étrangères, son propre public.

Finalement, l'impossibilité d'exister en dehors du regard des autres finit par s'incarner matériellement dans le désir du bonhomme d'en finir : jeu, set et match; une procédure qui n'est pas sans rappeler la comédie à laquelle nous nous sommes tous déjà adonnés, entre la recherche plus ou moins prudente d'une dépendance affective narcissique (l'amour), inconditionnelle et absolue, le déchirement émotionnel lié à la perte de ce qui ne pouvait-être qu'une illusion, le désespoir et le sentiment de vide et d'abandon, puis l'euphorie et le sentiment de liberté accompagnant la redécouverte des joies du célibat et la reconstruction d'un amour propre indépendant. L'analogie ainsi opérée par Inárritu n'est pas impertinente.

Ce qui nous est, je pense, décrit finalement, ça n'est pas un portrait à charge d'une « bonne façon » de faire de l'art versus une « mauvaise façon », mais bien davantage les ressorts motivationnels à l’œuvre derrière la création artistique, et la façon dont ils peuvent virer à la caricature, au grotesque et à la souffrance affective lorsque l'on se positionne à l'un ou l'autre des extrêmes du spectre qui les synthétise.
SummerWin
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le 21 mars 2015

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Cool Breeze

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