Les Baxter d’un côté, les Rodos de l’autre et moi au beau milieu…
(L’Homme sans nom)



Il est intéressant de noter la prise d’otage à laquelle se voit confronter l’arpenteur lambda de salles obscures au vu des critiques du film toutes situées aux extrémités du baromètre : « le meilleur film du réalisateur » pour les uns, le pire pour les autres. Très peu d’avis mitigés semblent ressortir.


Avec le nouvel opus de Spike Lee et son miroir tendu à l’Amérique du président Trump, il semblerait que le fond du film ait surpassé l’attention que l’on prête habituellement à la forme. Comme nous sommes ici pour parler de cinéma, prenons un recul bien venu sur BlacKkKlansman.


Entre comédies acerbes et films parfois ratés, Spike Lee s’est toujours évertué à déclarer son amour à la ville de New York ainsi qu’à illustrer les tensions intercommunautaires, sans oublier de donner une voix aux Noirs au cinéma. Une démarche qui doit s’être avérée subtile, puisque souvent taxée de raciste, ce qui place le réalisateur à l’échelon 6 sur l’échelle de von Trier.


Ne nous y trompons pas, BlacKkKlansman est un bon film. Tout d’abord son casting est impeccable. Si John David Washington est bien le fils de Denzel Washington, son jeu et son personnage semblent plutôt une extension du personnage de Mookie (interprété par Spike Lee lui-même dans Do the Right Thing). On peut également se féliciter de voir la carrière de Laura Harrier évoluer dans le bon sens (soit commencer timidement dans un film Marvel, se faire couper au montage de la purge Fahrenheit 451 version 2018 et atterrir dans un Spike Lee). Elle a l’occasion d’incarner une Angela Davis post #metoo, affublée de la coupe afro à la Pam Grier dans Coffy.


Adam Driver ne délivre pas une partition flamboyante, mais c’est mieux que le minimum et l’auteur de ces lignes n’avait encore jamais eu l’occasion de le voir porter un personnage aussi mature. On aura même la surprise de voir Michael Buscemi venu jouer le sosie de son frère, ce qui peut porter à confusion. Quant à Topher Grace, son rôle permettra aux nostalgiques de That 70’s show, de continuer à rire devant ses expressions ahuries (ce qui semble être l’inverse de la direction qu’il voulait donner à sa carrière au cinéma).


L’intrigue est simple, un peu trop même, mais elle permet au réalisateur de se concentrer sur le cheminement d’un Noir qui prend conscience de sa place en tant qu’individu, Noir et policier dans une société où il n’est pas forcément le bien venu. Mal vu par les militants Afro-centrés, et par les racistes, le personnage de Ron Stallworth est l’avatar du spectateur qui essaie de cerner le monde qui l’entoure. Il est intéressant de noter qu’au delà du fait de ne pas avoir adopté la posture caricatural du gentil Noir opposé aux Blancs racistes, Spike Lee retourne le vieux stéréotype du « magical negro » (soit le Noir qui n’a d’autre but que d’aider le Blanc à accomplir son objectif) et en affuble certains seconds rôles « blancs » dans le film.


Et à vrai dire, c’est un peu le premier endroit où le bât blesse. Si le retournement de ce stéréotype est intéressant, il relève plus de la paresse d’écriture que d’une réelle figure de style. En se penchant un peu plus sur les personnages du film, (on va en compter un peu moins d’une dizaine) seuls trois d’entre eux sont réellement écrits et tous les autres relèvent de la caricature.


C’est le principal problème du film. La satire aurait été bien plus efficace si on avait eu affaire à de véritables personnages dénués de manichéisme, comme c’est le cas pour Stallworth (Washington), Zimmerman (Driver) et Patrice (Harrier). Or Spike Lee nous avait déjà offert des films au message similaires bien plus travaillés en terme de personnages. Et à vrai dire, ses films sont essentiellement des films de personnages pris au piège entre deux camps et qui luttent pour trouver leur place et s’insérer en tant qu’individus dans la société.


Ici, pour rendre son message plus clair qu’habituellement (et éviter de se faire traiter de raciste alors que sa démarche va à l’inverse), le réalisateur se débarrasse de toute subtilité. Rappelant que l’extrémisme de certains militants Noirs est une conséquence directe de la haine entrainée par les extrémistes du KKK. Sans renvoyer les deux militantismes dos à dos, Spike Lee pointe du doigt la spirale de la haine, qui est loin d’être arrivée au bout si on se rappelle des évènements récents ayant frappé l’Amérique (et pour les plus amnésiques d’entre nous, aucun problème, le film le rappellera dans un final littéralement époustouflant).


Le second endroit où le bat blesse est le rythme que l’on pourrait qualifier de « bâtard ». Comme dit précédemment, les héros de Spike Lee luttent pour s’insérer en tant qu’individu dans la société, non pas affranchie d’elle mais intégrée de manière à pouvoir à la fois remplir leur office et dans un même temps assumer leur valus.


C’est le cas de Ron Stallworth qui veut s’intégrer à la société en tant que policier ET en tant que Noir (dans une décennie où les deux caractéristiques sont compliquées à assumer). Stallworth ne veut pas être défini par sa couleur de peau, même si le sort de sa communauté le touche, ou par son métier, mais il veut être un individu qui puisse allier les deux pour le « bien commun ».


Donc le cheminement logique à suivre pour cela était : A= point de départ => B : succès ou échec. Or le film montre les deux conclusions, et c’est là que la structure du film devient bancale. Au choix, le film aurait dû s’achever sur la scène où Stallworth est congratulé par ses paires ou par celle où l’on apprend que l’affaire est enterrée. Le fait d’inclure ces deux séquences fragilise l’harmonie du film qui en prend un coup. On a un acte en trop dans la scène où Stallworth piège son collègue raciste. Nous passerons sur l’éventuel ventre mou de milieu de film qui a toujours été un peu le point faible de Spike Lee, lui qui s’attaque toujours à des films assez longs.


Devant le succès du film en France, une question reste à poser : Y aura-t-il un après-BlacKkKlansman ? À savoir, un cinéma militant Noir est-il possible en France, surtout après la parution médiatisée du livre Noire n’est pas mon métier ? Car après tout, si Spike Lee est l’un des meilleurs réalisateurs Noir américain, il n’est pas le seul. Mais quid de la France ? Saurez-vous seulement nommer cinq acteurs ou réalisateurs Noirs français ?


Critique publiée initialement ici.

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le 30 août 2018

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