Cet été je n'attendais pas particulièrement le dernier Spike Lee.
Il faut dire que depuis le chouette Inside Man, aucun de ses projets récents ne m'a véritablement fait lever un sourcil. Convaincu par une bande annonce suffisamment bien fichue et ses grands airs de film coenien, je décidais de laisser une chance au produit, personne n'étant à l'abris d'une réussite.


Et il faut reconnaître que si le film pèche à mes yeux par un certain manque de finesse, il n'est pas dépourvu d'efficacité. Véritable cri de détresse d'un auteur inquiets des mutations communautaristes de son propre pays, BlacKkKlansman, sous ses apparences de comédie verbeuse développe une thématique on ne peut plus dramatique.


Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, commençons par le casting, impeccable.
Les acteurs sont tous bons, avec une bien belle révélation : John Davis Washington (fils de Denzel, perdu entre 2 Equalizer) campe à merveille son personnage nonchalant et très nuancé, qu'il soit grave ou malicieux, profitant avec délice de ses exercices de dictions. Difficile de ne pas y voir un alter ego du réalisateur, cherchant à promouvoir l'apaisement, pris entre la haine des uns et la révolte des autres.
Notons une fois encore l'excellente prestation d'Adam Driver, décidément très à l'aise, qu'il s'agisse de chanter de la folk, conduire des bus, prier comme un jésuite forcené ou manier un sabre laser pour donner corps à l'un des personnages les plus intéressants de l'univers Star Wars.
Tout ce joli petit monde (citons également Laura Harrier en leader éclairée et Topher Grace qui porte très bien la moustache) est merveilleusement bien dirigé.


Côté technique c'est aussi très solide et ça s'autorise des trucs vraiment sympas.
On a de belles références à la Blacksploitation, un montage croisé glaçant entre un discours suprémaciste et un discours anti-raciste, la scène du discours initial avec cette représentation si particulière des individus avec des fondus au noir superposés, la scène de la boîte de nuit dont la photo est splendide, beaucoup de débulages, une interview en facecam tordante, une projection de Birth of a Nation ultra glauque et des splitscreens plutôt hilarant lors de certaines scènes téléphoniques.
Le montage est en outre excellent et exploite à merveille une très très bonne bande son.


La thématique première, le racisme d'une manière générale, donne une formidable occasion de réaliser une charge anti-Trump très virulente.
C'est assez peu subtil tout au long du film, qui préfère la rigolade à un traitement véritablement complexe de la problématique, et ça l'est encore moins dans l'épilogue. À l'image de l'excellent Get Out de Jordan Peele (producteur de ce long métrage), BlacKkKlansman reste un film militant qui n'y va pas avec le dos de la cuillère.
Je n'ai rien contre le militantisme, au contraire, mais ce manque de finesse caractéristique est peut-être mon principal problème avec le film. Je commençait à voir avec Duke une esquisse de traitement plus approfondi du "mal", mais le film préfère faire passer une partie de l'électorat de Trump pour de gros abrutis, ce qui n'est pas forcément la meilleure façon de d'impacter un large public.
En définitive, ça ne viendra prêcher que des convaincus. En y réfléchissant un peu, la cible est peut-être tout simplement les sympathisants démocrates, qu'il souhaiterait faire prendre position en opposition à cette résurgence d'extrême droite.
Le film n'y va pas avec le dos de la cuillère, complètement turbo raciste, mais ça tombe bien : Spike Lee étant noir, on n'aura donc pas un procès d'intention comme pour OSS117 : Rio ne répond plus.


La seconde thématique développée, même si elle reste au demeurant mineure, est l'impact des images sur le public et la responsabilité de l'entertainer vis-à-vis des messages qu'il diffuse sciemment ou parfois malgré lui. Qu'il s'agisse d'aborder une contre culture, ici la contre culture noire américaine, et les valeurs positive qu'elle promeut ou de régler ses comptes avec Birth of A Nation, film séminal qui encore aujourd'hui semble être considéré comme oeuvre refuge par les plus extrêmes, le cinéma reste un formidable outil.


Un outil de propagande, un outil de divertissement, un outil de réflexion : un outil de communication. Quand vient l'amère conclusion, Spike Lee, dans un épilogue glacial constitué d'un simple montage d'images d'archives mêlant politicien orange à perruque, marches sordides et attentats, pousse un hurlement plein de désespoir.

YvesSignal
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le 27 août 2018

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Yves_Signal

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