Avez-vous entendu parler de la révolution ? À en croire la première bande-annonce du film Black Panther, elle ne sera pas télévisée, mais cinématographique. Depuis l’articulation de cette prophétie, véhiculée à travers une chanson aux accents séditieux, et apposée aux images du premier blockbuster produit par le béhémoth hollywoodien Marvel Studios à être consacré à un héros noir, les acteurs et artistes ayant travaillé sur le film s’en sont fait l’écho tout au long de sa campagne de promotion, qui semble avoir laissé une marque indélébile dans le paysage marketing de l’industrie. Célébré comme le nouveau porte-étendard de la représentation des Noirs dans la culture populaire américaine, le troisième long-métrage de Ryan Coogler paraît déjà avoir gravé son nom sur les stèles de la postérité simplement car il a le mérite d’exister. L’entrain évident que la sortie du film a engendré au sein de son public cible ne saurait toutefois suffire à en faire une entreprise réussie en termes techniques et thématiques.


Les héros noirs habitent depuis longtemps les univers filmiques, et l’adaptation des codes super-héroïques à la culture afro-américaine remonte au moins aux années 1970, période durant laquelle les productions de blaxploitation n’hésitaient pas à s’approprier ceux-là. Adilufu Nama, spécialiste de la représentation des Noirs dans l’industrie des comics, abonde dans ce sens :



« Il ne fait aucun doute que les super-héros noirs des comics DC et
Marvel présentent une filiation directe avec les films de
blaxploitation, mais pas parce qu’ils en ont tété inspirés. Leurs
similarités indéniables s’expliquent avant tout par le fait que les
protagonistes de la blaxploitation étaient eux-mêmes des super-héros.
»



Il poursuit en décrivant les codes super-héroïques présents dans des films tels que Super Fly (Gordon Parks Jr., 1972) ou Three the Hard Way (Gordon Parks Jr., 1974). Des incarnations plus évidentes du stéréotype ont cependant existé, par exemple dans The Human Tornado (Cliff Roquemore, 1976), Abar: the First Black Superman (Frank Packard, 1977), The Last Dragon (Michael Schultz, 1985) ou à travers la comédie hommage Black Dynamite (Scott Sanders, 2009). D’autres se sont accaparés les écrans à partir des années 1990, principalement sous forme de parodies (voir Blank Man et Pootie Tang), ou de séries B médiocres comme Meteor Man (Robert Townsend, 1993), Steel (Kenneth Johnson, 1997) ou Spawn (Mark Dippé, 1997). Au sein des productions à plus gros budget, la trilogie Blade, initiée en 1997 et ayant notamment bénéficié d’un deuxième opus surexcitant, est bien entendu incontournable, tandis que la superstar Will Smith avait exploré le genre avec Hancock (Peter Berg, 2008).


Après avoir introduit quelques seconds rôles noirs (Nick Fury, War Machine, Falcon) et tenté une série consacrée à Luke Cage, Marvel Studios crée cette fois l’événement avec le premier long-métrage inspiré du personnage de Black Panther, qui se démarque du fait de son univers foisonnant. De quels honneurs l’icône la plus rayonnante des super-héros noirs a-t-elle donc bénéficié pour son adaptation sur grand écran ? Le film de Ryan Coogler commence plutôt bien, avec une séquence animée prometteuse, qui conte la légende fondatrice du Wakanda, posant ainsi les bases d’une nouvelle mythologie aux innombrables possibilités. Le réalisateur surprend ensuite en débutant son histoire à Oakland (sa ville natale) en 1992, afin de tisser un lien nécessaire entre l’intrigue wakandienne à venir et les États-Unis. Malheureusement, les bonnes surprises s’arrêtent là. Black Panther adopte par la suite une structure narrative tellement similaire aux autres productions du studio qu’il est impossible de ne pas avoir l’impression de revoir le même film une énième fois. Le scénario, qui souffre d’un déroulement douloureusement mécanique, ne donne jamais suffisamment corps à ses personnages, et suit à la lettre le schéma cher à la saga : présentation du statut quo, remise en cause de ce dernier, crise, défaite symbolique du héros, retour, combat final saturé d’images de synthèse indigestes (on pense cette fois à Lawnmower Man). Après 17 épisodes écrits de la même manière, la formule commence à rouiller et empêche surtout les films de sortir du lot quelles que soient leurs particularités de surface.


semble pourtant que le film ait été loué pour celles-ci, et notamment son antagoniste. Soit. L’ébullition apparue autour du personnage d’Erik Stevens/Killmonger est intéressante, ce dernier se présentant comme un archétype idéologique brut qui n’est jamais développé en individu à proprement parler. Son passif larmoyant et son objectif simpliste (le soulèvement de tous les Noirs dans le monde grâce à la technologie wakandienne) le rendent cela dit rapidement appréhendable pour le public, qui peut sans mal le rapprocher de certains mouvements politiques réels, du moins dans les grandes lignes. Face à lui, T’Challa, roi et protagoniste de l’histoire, lui oppose une réponse mesurée balbutiante, qui ne peut évidemment pas s’imposer face à la radicalité vivifiante de son adversaire. L’analogie évidente qui reviendrait à assimiler ces deux personnages à Malcolm X et Martin Luther King se révèle toutefois aussi insuffisante que l’étoffement des personnages. Rien de la personnalité de King ne se retrouve dans ce long-métrage, la Panthère noire étant un héros grandement indifférent au sort des gens qui ne sont pas ses sujets, et s’imposant comme la force de résistance au changement planétaire. Si l’on souhaite absolument rentrer dans le jeu des comparaisons à des figures réelles, alors T’Challa, souverain africain, se rapprocherait plutôt du Ghanéen socialiste et nationaliste Kwame Nkrumah, tandis que Killmonger ressemblerait à un composite entre le panafricaniste Edward Wilmot Blyden, qui prêchait le retour des Afro-américains au continent pour l’élever sur la scène mondiale et Marcus Garvey, un autre panafricaniste en faveur de la ségrégation raciale et de la lutte brutale contre les pouvoirs coloniaux. Nakia, ancienne compagne de T’Challa, est celle qui plante les graines de l’ouverture wakandienne chez son roi lors d’une seule et unique scène de dialogue, traçant un lien vers la méthode du soft power de la militante pour la paix Leymah Gbowee.


Ces parallèles demeurent toutefois à la limite du recevable car le film ose à peine esquisser ses personnages. Noyés dans une intrigue de recèle d’arme et de succession au trône d’une banalité étourdissante, leur portée politique n’existe quasiment jamais en dehors d’une ou deux répliques lancées lors du premier acte, à l’exception de Killmonger, qui opère dans l’excès inverse et ne délivre pratiquement que des punchlines surlignant ses motivations.


L’entrain qu’engendre le film pour la représentation d’un pays africain riche et développé en fiction n’a rien de surprenant. En 1936, le long-métrage Les Verts Pâturages (réalisé par Marc Connelly et William Keighley) recréait le récit biblique avec un casting entièrement noir. Quoi que non futuristes, ces visions recontextualisaient la diaspora afro-américaine dans un cadre idyllique. Le film restera le plus gros succès pour une telle production pendant près de 20 ans. Un Prince à New York (John Landis, 1988) demeurera par la suite le plus populaire (l’unique ?) exemple de pays africain utopiste vu au cinéma. Avec Black Panther, la représentation haute en couleurs d’une société africaine flamboyante est donc belle et bien présente, ce qui est assez rare pour être souligné, mais n’était-ce pas le strict minimum syndical compte tenu de la richesse des comics et surtout des cultures amalgamées dans une production de cette ampleur ? L’aspect le plus réussi du syncrétisme entre afrocentrisme et culture américaine mainstream recherché est probablement sa bande originale. Constitué principalement des compositions de Ludwig Göransson, collaborateur de longue date du cinéaste, et de quelques chansons tirées de l’album éponyme du rappeur Kendrick Lamar, le score fait partie des meilleurs offerts par la maison Marvel : symphonique lorsqu’il le faut, mais cédant le devant de la scène aux instruments, rythmiques et chants tribaux aux moments opportuns. Seulement trois morceaux parmi les 14 proposés sur l’album de Lamar semblent intégrés au film, ce qui amène à regretter que son travail n’ait pas été mis à meilleure contribution pour explorer l’aspect afrofuturiste du métrage, sachant que le genre doit son existence même à la musique noire, et sa survie lors des dernières décennies au hip hop (voir Cee-Lo, Del tha Funkee Homosapien, Kool Keith). Göransson assure donc quasiment seul l’hybridité afro-symphonique du métrage (une tâche assez colossale en soit, toute orchestration ayant tendance à gommer l’authenticité des sonorités locales), et signe quelques passages remarquables. Le thème syncopé et cyclique de Killmonger, entêtant, constitue notamment une franche réussite, tandis que les vivifiantes et très efficaces pistes Glory to Bast/Jabari Pt II rappellent par ailleurs le thème écrit par Michael Kamen pour X-Men.


Comme susmentionné, le film existe donc aussi à travers le prisme de l’afrofuturisme. Qu’il se soit agi de critiques inscrivant Black Panther dans la continuité du mouvement, ou d’entretiens avec la créatrice des costumes ou des décors, le concept semble intimement lié au projet. En surface tout du moins, la production Marvel propulse effectivement une version fantasmée de la culture noire vers les frontières technologiques, et ce simple fait lui procure une résonnance culturelle en raison de la rareté d’un tel univers à l’écran. Pour quiconque souhaiterait cependant évaluer le film sur autre chose que sa simple existence, ladite projection ne donne lieu à aucune évolution du genre afrofuturiste. Dans le 7e art, celui-ci trouve ses racines dans l’expérimentation musico-cinématographique Space is the Place (John Coney, 1974), portée par le musicien Sun-Ra, qui s’interrogeait sur la place des Afro-Américains dans le monde, créant un parallèle allégorique entre le poncif des aliens visitant la Terre et le statut des Noirs aux États-Unis, vivant sur une terre étrangère, loin de leur berceau ancestral. Adoptant une approche plus socio-réaliste, Lizzie Borden dépeignait une Amérique dystopique étrangement similaire au climat actuel dans le maladroit mais enragé Born in Flames (1983). Le genre a survécu à travers le monde par le biais d’autres représentants épars au fil des décennies, comme The Brother from Another Planet (John Sayles, 1984), qui ironisait sur l’absurdité des tensions raciales, Welcome II the Terrordome (Ngozi Onwurah, 1996), une tentative fauchée et malhabile d’explorer lesdites tensions dans une dystopie ultra violente, ou encore les étrangetés Les Saignantes (Jean-Pierre Bekolo, 2005) ou Crumbs (Miguel Llansó, 2015).


Toutes ces productions existent toutefois à la marge de l’industrie, et font le tour des festivals sans jamais atteindre le grand public. A contrario, Will Smith mène des blockbusters hollywoodiens aux accents science-fictionnels depuis les années 1990, gravant bien plus efficacement l’image afro-américaine de la SF dans la conscience populaire du pays. Son ultime tentative à ce jour (ratée, malheureusement) étant bien entendu After Earth (M. Night Shyamalan, 2014), un film plus important pour la portée du mouvement afrofuturiste que toutes les œuvres indépendantes réunies, mais qui ne s’en réclame pas ouvertement pour autant. Peut-être est-ce là que se trouve la clé : comme Jack Kirby l’avait fait en plaçant le plus naturellement du monde le personnage dans des univers science-fictifs extravagants, After Earth positionnait la famille Raige au sommet de la pyramide sociale (et spatiale !), avant de déployer une philosophie mariant technologie et principes spirituels intangibles, mais n’articulait jamais de désir de révolution culturelle. Évoquant le run de Kirby des années 1977 à 1979, Adilufu Nama résumait parfaitement l’avantage d’une telle approche :



« D’un côté, un tel récit peut facilement être critiqué pour avoir dépolitisé le personnage en le distançant des problématiques raciales


et sociales pesant sur l’Amérique. Mais de l’autre, je considère le
positionnement de Black Panther dans ces paysages science-fictifs
comme une démarche racialement et politiquement progressive, étant
donné que la représentation des Noirs s’est toujours appuyée sur des
notions archaïques liées au ghetto. Faire évoluer la Panthère dans
divers environnements fantastiques et mystiques constitue une
nouveauté remarquable. »



Ainsi, les œuvres créant un futur utopiste lointain ou un univers fantastique extravagant peuvent sans problème se permettre d’éluder un traitement frontal de la dimension sociétale propre au genre, car elles partent du principe que les clivages raciaux ont été résolus, et peuvent donc se consacrer entièrement au positionnement de la diaspora africaine dans un paradigme fictionnel renouvelé. Black Panther ne se projette pas dans l’avenir, mais contextualise l’afrofuturisme dans une version de notre monde contemporain, dans lequel les questions raciales en sont exactement au même point. Cette redéfinition du présent appelle immanquablement à traiter les questions fondamentales du genre en profondeur, chose que le film évite soigneusement de faire.


Ce refus de se donner les moyens d’accomplir ses ambitions thématiques donne par conséquent lieu à des incohérences très handicapantes. Black Panther souhaite ainsi s’imposer comme le premier blockbuster hollywoodien se réclamant ouvertement du concept, mariant portée planétaire et thèmes raciaux. Sans surprise, cependant, le manque d’originalité dans la narration s’accompagne d’une absence d’identité totale. On se demande donc bien en quoi le film peut prétendre à toute cohérence, alors qu’il allie la défense d’un statut quo protectionniste à la critique d’un gouvernement qui prétend ambitionner exactement cela. Si Black Panther avait voulu être la révolution afrofuturiste promise, si le film avait osé mener ses idées à leur conclusion logique, alors tous les reproches faits à demis mots à l’Amérique d’aujourd’hui auraient dû conduire à une destruction méticuleuse des acquis du Wakanda : son hégémonie économique sur la région aurait dû s’effondrer afin de rappeler à la population l’humilité, ses frontières auraient dû disparaître (et pas seulement s’ouvrir timidement, peut-être, suite à une scène post-générique), le soulèvement des faibles aurait dû aboutir, et surtout le système monarchique anti-démocratique du pays aurait dû être renversé pour rendre le pouvoir au peuple (problématique de premier ordre superbement traitée dans les comics lors du run de Ta-Nehisi Coates, qui redéfinit la légitimité du pouvoir détenu par T’Challa sans l’en priver).


Rien de tout cela n’empêchait de dépeindre avec honneur et fierté le peuple en question et de célébrer ses traditions, mais rien de tout cela n’a été fait. La raison est simple : ça n’a jamais été le but de Marvel Studios, malgré une stratégie marketing qui s’est évidemment approprié intelligemment des symboles culturels de résistance. Comme c’est le cas depuis ses débuts sur la franchise, Kevin Feige a bâti un film sur des promesses qu’il fait languir éternellement. La promesse d’une œuvre incontournable dans l’histoire du cinéma américain et de la présence de la culture noire à l’écran résulte donc, évidemment, en un long-métrage convenu, dénué d’enjeux narratifs véritables ou de la moindre prise de position. Les commentaires politiques (vagues, timides et galvaudés) font gage de légitimité intellectuelle, sans quoi le film aurait risqué d’aliéner son public venu participer à la révolution fantasmée, mais n’ont également aucun poids tangible, apeurés que sont les producteurs d’offenser un public non noir peu disposé à redéfinir quoi que ce soit. En résulte une œuvre incapable de se positionner sur la carte afrofuturiste. J. Griffith Rollefson donnait, dans son essai The “Robot Voodoo Power” Thesis: Afrofuturism and Anti-Anti-Essentialism from Sun Ra to Kool Keith, une définition claire de l’objectif culturel du mouvement :



« L’anti-anti-essentialisme stratégique caractérisant l’afrofuturistme dénonce le nationalisme noir comme une idéologie


obsolète et le post-structuralisme comme une fantaisie idéaliste
blanche. […] Il s’agit d’un projet critique visant à établir les bases
d’une humanité libérée des idéaux de l’universalisme des Lumières. »



Que le film « afrofuturiste » profitant de la plus grande visibilité de l’histoire embrasse sans nuances ledit universalisme constitue une ironie fort malheureuse, car si T’Challa doit indéniablement se définir comme avatar culturel d’une reconceptualisation afrocentriste, son adaptation cinématographique lui retire tous les attributs qui en faisaient une icône pertinente : le sens d’appartenance au futur de la version Kirby, l’enracinement épique au sein d’un système mythologique complexe introduit par Don McGregor, le héros américano-urbain mystique à la Christopher Priest, le nationaliste noir vu chez Reginald Hudlin, et le monarque africain introspectif vecteur de réinvention écrit par Coates, toutes ces facettes sont atténuées, gommées au profit d’un libéralisme politique prudent enchaîné au présent, et surtout hérité des évolutions philosophiques des colons blancs, influence censée être totalement absente de la vie wakandienne. Pas que chaque run des comics ait été irréprochable à ce niveau-là, mais Ryan Coogler avait à sa disposition assez de richesses pour créer une synthèse puissante du personnage. Or, à suivre la logique articulée par l’acteur John Kani, selon laquelle Black Panther illustre le scénario de libération ultime d’un peuple noir, il faudrait se contenter de l’idée que, protégée de toute influence occidentale et caractérisée par des valeurs différentes, cette civilisation africaine en serait arrivée exactement à la même pensée libérale.


Au-delà de ce non-sens thématique, le film passe sous silence deux questions extrêmement gênantes compte tenu de ses velléités politiques, et entend poser des questions éthiques alors même que l’historique fictif du Wakanda lui retire toute légitimité. Comment justifier, en effet, que les Wakandais se trouvent soudainement une conscience humaniste alors qu’il est sous-entendu qu’ils avaient décidé de ne pas intervenir du tout lorsque l’espèce humaine entière (eux y compris) était menacée d’extinction dans Avengers et Avengers: Age of Ultron ? Comment défendre la critique du colonialisme (Shuri surnomme gratuitement Everett Ross « colon », Killmonger évoque le pillage de la culture africaine par les Blancs), alors que ledit peuple a délibérément choisi d’ignorer la détresse de ses voisins africains lors de la colonisation, durant des centaines d’années ?


D’aucuns auront vite fait d’ignorer ces problèmes pour célébrer le message politique progressiste supposément véhiculé par le film à travers sa première scène post-générique, lors de laquelle T’Challa annonce l’ouverture de son pays sur le monde au détour d’un petit tacle anti-mural. Pour autant que celle-ci fasse sourire, elle représente une résolution peu reluisante à la problématique posée par Killmonger. En effet, ce dernier fait clairement comprendre que son existence s’explique par l’isolationnisme total du Wakanda, et que le chaos qu’il y sème (au point de manquer de provoquer la Troisième Guerre mondiale) n’est autre que le fruit d’un instinct de conservation appliqué au détriment d’autrui, politique qui plante les graines de l’autodestruction. T’Challa décide de réviser sa vision car celle de ses aïeux a mené à la création d’hommes comme Killmonger, capables de remettre légitimement en question la stabilité du pays. Son geste n’a donc rien d’altruiste, puisqu’il n’agit jamais pour le bénéfice de quiconque en dehors de ses sujets (rappelons au passage que la femme qu’il aime l’a quitté pour aller libérer des personnes réduites en esclavage sans que cela ait provoqué le moindre désir de réforme chez lui…).


Le concept même du personnage renferme quant à lui un paradoxe philosophique intrigant lorsque positionné dans le contexte de production actuel, car T’Challa a toujours été obsédé par les questions telluriques et culturelles. L’identité de son peuple repose sur ses terres et ses traditions, deux richesses qu’aucune force étrangère n’a jamais été autorisée par les scénaristes à réellement dérober, car considérées comme sacrées. Par exemple, dans Black Panther (2016), #3, l’esprit de Shuri, dans le coma, est transporté vers les terres mémorielles du Wakanda, nommées le Djalia. Sa mère, ou plutôt l’esprit composite de tous ses ancêtres, lui rappelle alors que l’essence du pays ne se trouve pas dans sa technologie, mais dans son folklore, dans ses chants et ses histoires, dans la puissance même de son énergie chtonienne. Au-delà du fait qu’il s’agisse d’un exemple splendide d’enrichissement de la mythologie wakandienne (tristement absents du film, à l’exception d’un plan sur fond vert irritant), ce genre de développement ancre fermement l’idéologie de ce peuple africain dans un indéniable nationalisme traditionnaliste, soit l’idée même que la culture populaire libérale américaine s’est donnée pour mission de critiquer, sous peine de se sentir manquer de pertinence politique. En résulte une dilution conséquente du caractère unique du Wakanda par les scénaristes du film, qui le normalisent selon le modèle occidental.


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Cygurd
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le 20 févr. 2018

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Film Exposure

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