Darren Aronofsky ( Requiem for a Dream, The Wrestler) est un réalisateur ayant le don de diviser du monde dans la sphère cinématographique et dans le public. Ce n'était pas sans a priori que je me suis déplacé au cinéma dans l'optique de voir Black Swan, sa toute dernière production. Et pourtant l'amoureux du cinéma que je suis a été plutôt comblé par ce film.
(De légers spoilers peuvent intervenir lors de la critique)
Certes il n'est pas exempt de défauts, j'y reviendrais plus tard. Tout d'abord les (nombreux) points positifs. Et bien je dirais la mise en scène, elle qui subit moultes reproches. Je l'ai trouvé travaillé et judicieuse. Au départ ça m'a pas plu plus que ça mais en fin de compte je l'ai trouvé remarquable dans sa façon de rendre le film oppressant. Il filme en gros plan et limite semble tenailler ses personnages, quelque part il les enferme, ils leur ôte leur liberté, leurs vies semblent contrôlés, ils ne les laissent pas vivre et ça donne au final une mise en scène infernale. Une caractéristique que l'on retrouve également lors des scènes de danse.
Caméra à l'épaule, Aronofsky se place au coeur de l'action. C'est une caméra hésitante qui est là au coeur de la chorégraphie, elle tremble tout en filmant en gros plan, de par son déséquilibre constant elle donne cette sensation de fragilité, cette impression que tout peut se casser la gueule et en beauté. J'ai trouvé cette réalisation infernale et j'ai vraiment aimé ça, aux premiers abords ce n'est pas forcément beau mais en tout cas c'est judicieux et parfaitement en phase avec le sujet qui est ici la folie. La folie dans Black Swan, justement parlons-en. On y suit pas une évolution croissante, disons qu'on suit une évolution étapes par étapes, en adéquation avec le schéma narratif suivi par le réalisateur. Les raccords sont bruts, les transitions sont brutes, on a l'impression d'être immergés dans cette folie-même, avec son caractère imprévisible et brutal.
Je m'attendais à quelque chose de plus "Lynchéen" mais en fin de compte j'ai aimé ce parti pris, cette gradation de la folie car après tout une folie n'est pas forcément constante, on ne peut pas savoir vraiment ce qui se passe dans la tête de quelqu'un. Nina (Natalie Portman) est une femme fragile et perturbée. Avec cette accumulation de pressions de la part de son coach, de ses collègues, de sa mère et de sa future carrière qui se profile à l'horizon, son état mental en pâtit singulièrement et se dégrade plus vite que prévu, elle se retrouvera limite enfermée dans son rôle (ce qui est déjà arrivé à certains comédiens) et est en proie aux doutes, aux fantasmes et devient contrôlée par son inconscient, c'est quelque chose qui m'a bien plu, niveau ambiance j'ai été comblé.
Les comédiens sont géniaux. Natalie Portman en tête, elle offre ici sa meilleure performance je trouve. Son personnage sur le papier aurait pu m'agacer mais au final je m'y suis fortement attaché, son personnage m'a ému et transporté. Vincent Cassel y trouve un très bon rôle aussi et Mila Kunis y joue Lily, la femme troublante et sensuelle, dont ses ambitions restent fort ambigues. La musique y est très belle, elle emprunte à l'oeuvre originale de Tchaïkovski et se mêle à la partition de Mansell de grande classe. La musique est peut-être un poil omniprésente, elle appuye les moments dramatiques sans trop de subtilité mais ouf, j'ai trouvé que le réalisateur n'en faisait pas des tonnes non plus et c'est à mettre au crédit du film. On peut trouver le film répétitif, moi j'ai trouvé cette répétitivité essentielle dans le déroulement de l'histoire, elle illustre bien après tout la façon dont on prépare un spectacle.
Après je pourrais reprocher au cinéaste de recourir à quelques facilité comme les scènes surprenants avec triple volume au niveau du son (c'est classique, facile et archi-usé mais ça a quand même marché sur moi et je n'en ai pas honte). Pour moi ces petits détails font rater au film le statut de chef d'oeuvre mais pour ma part Black Swan est un grand film qui m'a vraiment beaucoup touché. Je l'ai trouvé beau, intelligemment mis en scène, prenant, le tout servi par de grands interprètes et j'ai apprécié cette peinture noire du monde de la danse qui a le mérite de soulever les points négatifs mais en évitant de rendre ce monde (et le monde du spectacle en général) impitoyable, car après tout l'ambiance cauchemardesque du film provient de Nina surtout, avec sa fragilité et les autres pressions présentes ailleurs que dans sa compagnie de danse.
Je terminerai sur le ballet final intense qui mêle coulisses et scène nerveusement, on y voit peu la chorégraphie, on y suit surtout un personnage en plein doute et qui s'abandonne le temps d'un spectacle, c'est saisissant. Pour moi un grand film, j'ai véritablement adoré. Aronofsky me plaît décidément de plus en plus.