Il est dommage - et il faut le déplorer - que les Américains mettent plus de talent à promouvoir leurs films qu'à les réaliser. Ce fut le cas d'Avatar, d'Inception et Black Swan souffre également d'avoir été porté au pinacle et annoncé comme chef-d'oeuvre avant sa sortie en salles. Le danger est que le spectateur, facilement manipulable et toujours bien disposé à s'enthousiasmer, attend trop d'une oeuvre qui, après projection, se trouve réduite malheureusement à ses dimensions réelles, autrement plus modestes. Enseignée par l'expérience, je me rendais hier, à la séance de 17 heures, sans à-priori, mais sans empathie excessive. Je me méfie trop des engouements en aval pour privilégier davantage ceux en amont qui me paraissaient d'ailleurs, à la lecture de nombreuses critiques, plus modérés. Et c'est, en effet, un jugement modéré que m'inspire ce long métrage de Darren Aronofsky et également le regret que le sujet, en lui-même séduisant et porteur, tiré du livre de Andres Heinz, n'ait pas été abordé de façon plus fine, plus subtile et plus artistique. Traitant de l'art de la chorégraphie et de la danse, c'est-à-dire de l'expression la plus évanescente de la beauté, ce film pèche par manque d'art. Si les difficultés de la discipline en elles-mêmes sont bien rendues, si la férocité du milieu est soulignée à traits vifs et crédibles, le parcours psychologique de l'héroïne, interprétée par la délicieuse Natalie Portman, sombre dans un pathos dont les ficelles sont aussi grossières que des câbles. Là, où il aurait fallu suggérer d'une caméra légère afin de mieux persuader les spectateurs des dilemmes, des refoulements, des angoisses de Nina, de ses fantasmes aussi, c'est le catalogue complet des déviances de notre société et de son mal-être que l'on nous sert et nous inflige à grand renfort d'hémoglobine : castration, mutilation, obsession, masturbation, tout y passe dans un délire psychotique et schizophrène pénible. Oui, vraiment... too much.

Et pourtant, il aurait fallu peu de choses pour que le film soit une grande réussite : plus de modestie d'abord, un style moins agressif et grandiloquent, une caméra plus subjective, plus poétique, plus délicate, plus habile à aller au coeur des choses que de rester à leur surface, de fouiller les coeurs que d'en étaler les ravages. Dommage, car les acteurs sont tous excellents, que le rythme est bon et que la caméra à l'épaule ne m'a pas gênée, car elle saisit fort bien les scènes de répétitions, les danseurs au travail, la présence toute puissante du maître conduisant son corps de ballet, ou bien les moments plus intimes où Nina se retrouve avec sa mère. Mais voilà, à vouloir trop démontrer, à privilégier exagérément le pathétique, on passe à côté de l'essentiel, on brouille les cartes, on étouffe l'émotion et on ne laisse dans la mémoire du spectateur qu'une image écornée...
abarguillet
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le 7 juin 2012

Modifiée

le 15 sept. 2013

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abarguillet

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