Jusqu'alors, Darren Aronofsky savait comme personne exposer les effets dévastateurs provoqués par les tourments de l'esprit. On se souvient du mal-être qui colle à la peau longtemps après avoir quitté des yeux Requiem for a dream. Des B.O. qui vous plongent dans l'univers choisi à tel point qu'elles en sont presque impossible à réécouter... Et surtout de l'horreur malsaine qui se dégageait particulièrement de ces deux films là. Celle qui rendait ses films insoutenables mais irrésistibles précisément pour ça. Le spectateur était obligé d'éprouver des sensations violentes. Or c'est tout l'intérêt de l'art : la passivité n'est pas de mise.
Malheureusement dans Black Swan, elle l'est. Comme un grand nombre d'entre vous, la conjugaison Aronofsky-Portman m'attirait irrésistiblement! Et le choix de l'univers de la danse également. Mais s'il n'est pas mauvais, le résultat n'est pas à la hauteur de mes espérances. Assez plat, fade et détestablement truffé de clichés. Aucun ne nous est épargné : la chambre rose et les peluches pour bien montrer la naïveté voire la niaiserie de l'héroïne qui n'a pas de vie; la rivale dont l'extrême rébellion consiste à fumer, manger des hamburgers, avoir une sexualité épanouie et danser les cheveux détachés; les mains au visage façon Le Cri de Münsch, devant les tableaux de sa mère au moment où elle sombre dans la folie... Et j'en passe...
De la schizophrénie il n'est point question. Simplement le poids de la pression d'une vie poussé à son paroxysme. Ou, jusqu'où peut entraîner la peur de l'échec, et le dépassement de soi? Car au final, c'est bien de cela qu'il s'agit : l'héroïne a dépassé sa raison même...
Il ne s'agit pas non plus d'une retranscription de l'univers de la danse. Avec des scènes d'un manque total de crédibilité : une étoile dans une si grande pièce dans un si grand théâtre se prépare toute seule dans sa loge? Et arrive coiffée, habillée et maquillée parfaitement alors même qu'elle n'est pas du tout prête "5 min" exactement avant de monter sur scène? Du reste, nous ne voyons rien des échauffements, des journées intensives de travail acharné, de la discipline que cela demande... Nous assistons bien à une rivalité certes, mais qui est surtout celle de la danseuse avec elle-même. De l'intransigeance qu'elle s'impose... Qu'on ne peut même pas imputer au chorégraphe (justissime Cassel), qui n'a rien de castrateur comme peuvent l'être certains, mais est finalement très humain, et... fait son travail : il pousse son élue à séduire le public.
En résumé un bon film, qui se laisse voir (malheureusement), mais qui aurait mérité de creuser un peu plus la relation mère-fille, d'étoffer tous les personnages qui manquent cruellement de profondeur. En revanche, il se dégage de lui un intérêt tout particulier, but ultime du réalisateur auquel il est parvenu : faire éclore une femme. Jamais plus vous ne verrez Natalie Portman de la même façon maintenant. Elle nous avait émue dans sa fragilité de post-adolescente; elle nous bouleverse dans sa puissance de femme...