Critique et analyse d'un thriller psychologique

Qu'on se le dise, « Black Swan » est un des meilleurs crus de ses dernières années. Certains d'entre vous me feront alors tout de suite plusieurs objections : encore le thème de la folie cinéma, dès le début on anticipe la fin, la première partie est ennuyante... A tout cela je répondrai oui, possible, mais ce n'est pas le sujet du film. Qui reprocherait à Sophocle (si bien sur il était encore parmi nous) de connaître la fin d'Œdipe Roi ? Ne vous trompez-vous pas de cible ? Le vrai sujet du film n'est pas tant ce qui va se passer à la fin, mais comment on va en arriver là. Le film est prévisible certes, mais vous ne pouvez pas prévoir le comment, or, là réside toute la subtilité du film. Oui, j'ose l'affirmer, en entrecroisant divers thèmes problématiques de la vie humaine sur fond de mise en abime (si le lecteur me permet cet abus de langage), Aronofsky tente de répondre avec beaucoup de finesse à une seule question : comment s'effectue la métamorphose du cygne blanc au cygne noir ?

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Le film se fonde, pour répondre à la question, sur un parallèle entre la vie réelle de Nina (danseuse étoile) et son rôle dans le Lac des cygnes. En ce sens, même s'il est vrai que le thème de la folie est très développé dans le cinéma, l'angle choisi est très intéressant et très pertinent. Pourquoi ? Car contrairement à l'opéra de Tchaïkovski où cygne noir et blanc sont joués par deux protagonistes différents, Nina doit assumer les deux rôles à la fois. Dès lors se pose un problème majeur, comment incarner le bien et le mal, une chose et son contraire tout en voulant jouer les deux à la perfection ? C'est bel et bien la piste de départ du film, Nina vise la perfection, dès lors, incarner les deux à 100% c'est se condamner à un délire schizophrénique.
Et là réside toute la subtilité du film qui va consister en un va et viens entre la réalité scénique et la réalité concrète, où les deux s'alimentent l'une, l'autre. Ainsi l'on peut constater que Nina sera vêtu de blanc jusqu'au milieu du film (comme l'est le cygne blanc, symbole de pureté, de naïveté), puis de gris (période de transition) et enfin de noir (basculement final). Lily quant à elle, revêt des ailes noires tatouées sur son dos. L'opéra est utilisé comme catalyseur, pour nous montrer métaphoriquement une transformation réelle.
Et comment soutenir que le résultat n'est pas réussi ? Aronofsky arrive non seulement à capter les mouvements enivrants du ballet mais a également repensé toute la musique pour qu'elle soit en parfaite adéquation avec l'esprit du film. La dimension esthétique du film est donc incroyablement bien réussi et l'on voit là une combinaison entre cinéma et opéra très réussi.

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Mais au-delà de ça, le film pose le problème de la relation aux autres. Finalement si Nina vire à la bad girl c'est peut être moins du fait des contraintes que son rôle lui impose que de ses liens avec les différents protagonistes.
Notons par là la relation étouffante d'une mère qui s'identifie à sa fille et qui projette sur elle ses propres désirs. Elle ne voit dans sa fille que la réussite qu'elle aurait du avoir si elle n'avait pas été obligée de stopper sa carrière pour accoucher. Il en résulte que la mère de Nina est omniprésente et l'a tellement étouffé que la danseuse nous apparait plus comme une adolescente qu'une adulte (c'est pour cela qu'elle finira par jeter ses peluches avec violence). La libération face à la mère n'est alors plus qu'une question de temps. Nina est une bombe à retardement.
Aronofsky décrit également la réalité d'un milieu où la concurrence est exacerbée et où la pression est à la limite du supportable. D'où une thématique de l'échec à travers la danseuse déchue (Beth MacIntyre) qui finira par détruire la source même de son succès : ses jambes. La vision de l'échec renforce encore plus la pression. Finalement dans cet univers concurrentiel, la seule solution est le repli sur soi comme l'analyse le réalisateur, repli sur un moi profond, sur un univers propre au détriment de la réalité. D'où une folie progressive et inéluctable.
Enfin, Nina est l'allégorie de la frustration amoureuse, du contrôle de la passion qui ne devrait pas être contenue avec tant d'ardeur. La romance avec Lily montre comment un tel contrôle ne peut conduire qu'à une explosion du désir sexuel. Le sexe devient alors un exutoire et partant, le principal facteur de transformation.
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Le personnage de Nina symbolise subtilement tout le dualisme présent dans chaque être humain.
Dès le début, sous un air de naïveté se cachent de profondes pulsions autodestructrices réfrénées. On peut par exemple voir à quel point elle s'arrache les ongles et la peau. Le cygne noir est déjà en elle, comme il est en chacun de nous, mais il n'est pas réellement visible.
Aronofsky a réussi à le montrer par l'intermédiaire des effets spéciaux mais également par le processus de l'imagination. Nina projette ses peurs et ses angoisses sur les autres par l'intermédiaire de l'imagination.
Le défi est alors de montrer la violence de ces peurs et de ces angoisses, violence qui exprimera sa transformation. C'est là que le film nous donne des frissons : il possède une véritable violence visuelle (désarticulation des membres...) et sonore (musique qui vous emporte, vous donne des frissons).

Comment alors pourrait-on dire que le film est prévisible, banal, surfait alors même que tout ce qui en fait sa richesse n'est que finesse et intelligence ? En ce qui concerne la dernière objection : une première partie ennuyante, n'est-ce pas la condition sine qua non d'une profusion d'émotions durant la deuxième partie ? Inutile de vous dire que la deuxième partie m'a transcendé...
glorfindel
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le 15 févr. 2011

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