Dans les années 80 avec l'avènement du néolibéralisme, la science-fiction va jouer tantôt la prophétie ,tantôt l'anti-utopisme sans oublier le fantasme de l'être humain modifié... La SF et le Cinéma traversent les époques, à moins que ce ne soit le contraire... Retour sur le chef d'oeuvre Blade Runner.


Science-fiction et pessimisme technologique


Dans les années 30 avec Metropolis (1927) ou Frankenstein (1931), le cinéma confronte le corps humain avec le progrès scientifique. Pour la première fois dans l’histoire de la science-fiction, le verbiage se veut noirâtre et la morale de plomb.


Pourtant les utopies contemplatives de Voltaire ou Thomas Moore, aux origines de la SF, posaient un regard plus optimiste. Le progrès était perçu comme un miracle de l’esprit, un eldorado de sagesse. La science se voulait mère de vertus pour l’humanité. Mais au diable les contes! Fini le réalisme magique ! Une guerre mondiale plus tard accablée d’un drame nucléaire en 45, suivie des années 70 et de la guerre du Viêt Nam, les peuples déchantent, et l’on considérera avoir atteint les limites de l’optimisme scientifique. Dès lors la science n’est plus une promesse de voyage mais une pandémie pour l’homme. Et à l’aube de l’an 2000, avec les ordinateurs et la culture de l’information, la vision du futur se modifie. Il devient une utopie ridicule, cybernétique et essoufflée. La science-fiction rejoint les désillusions punks („No Future“) et l’on parlera alors de „Cyberpunk“: Un futur proche, une SF crasseuse, fataliste. Toute une symbolique mêlée à l’esthétisme néo-noire hollywoodienne qui trouve son apogée dans le Blade Runner de Ridley Scott.


Blade Runner - Le cataclysme à l’aube du 21ème siècle


Magistralement boudé à sa sortie, Blade Runner est bien une amplification tragique du réel. Parfaitement conscient des travers de son siècle, c’est une prophétie asphyxiante, sombre et macabre. Dans un genre très Kubrick, en 1982 Ridley Scott soude des écarteurs palpébraux aux yeux de l’occident et le spectateur se meurt du désastre.


Blade Runner, Los Angeles en 2019, une ville en phase terminale, ultra-séculaire, sans lieux publics, ni une brindille de verdure sinon en déco aristo. La hiérarchie verticale de la métropole chérie les injustices et l’exclusion. L’opulence des rêveries bourgeoises écrase la misère des bas-fonds. Une nuit éternelle, asphyxiante, déshumanisée. Une critique de la masse abrutie par la propagande, une critique de l’architecture moderne et puis un discours sur l’humanité: La macrocosme est une mythologie vouée à l’échec. Ça sent le Grisou dans les chaumières. La ville est une veuve noire. Dans les rues se côtoient des marchands orientaux, des anars et des moines. Un bouillon de culture façon Chinatown ou l’esthétisme s’embaume des cultures égyptienne et maya sur fond de chaos urbain. L’absorption dans le cyberespace est toute-puissante. La Tour de Babel? Des gravas et des corps. L'altérité effraie, l’autre est suspect. La société est centrée sur la peur et le test de Voight-Kampff qui différencie l’homme des „réplicants“. Hélas ma fille! En 2019 vous n’irez plus danser …


L’ambivalence de Deckard et le transhumanisme


Blade Runner est aussi une extrapolation sur la confusion identitaire et émotionnelle. Un questionnement poussé à son paroxysme en la personne de Rick Deckard (Harrison Ford), personnage angulaire dont l’identité même est sujette à controverse. Des Hommes et leurs réplicants … des semblables biologiquement évolués. Egotrip de démiurge, l’Homme se prend pour Dieu et crée des esclaves bioniques à son image.


Harrison Ford est chargé de neutraliser un groupe de rebelles réplicants qui sème le chaos sur Terre depuis une révolte sur une colonie martienne. Et subtilement, le cinéma des années 80 questionne la notion du „plus humain“ et ses dérives. Considéré par certains comme le drame du siècle, le transhumanisme est un mouvement culturel qui prône l’usage des sciences afin d’améliorer les capacités physiques et mentales de l’être humain. Le réplicant s’émancipe de la limite „humaine“ et de ses caractéristiques qui lui seraient constitutives. Bref, dans une branche de la science-fiction, robots et androïdes cohabitent sereinement avec l’humain mais la mouvance Blade Runner introduira l’idée d’un danger qui viendrait de l’homme modifié. Puis viendra Splice (2009), Time Out (2011), ou encore Bienvenue à Gattaca, 1997, et le fossé se creuse entre l’humain ordinaire, l’immortel et le supérieur.


Voilà le cataclysme Blade Runner: Le pessimisme technologique, le cyberpunk, une prophétie macabre à l’aube du 21ème siècle et le transhumanisme au coeur de l’intrigue. Avec la sortie très prochaine de Blade Runner 2049 signé Denis Villeneuve, la promesse est herculéenne ! Dans la bande-annonce, Dennis Villeneuve révélait un univers suffoquant de sable. Les premières critiques se veulent dithyrambiques. Mais impartialité Cineman oblige, notre critique sera à découvrir très bientôt sur le site.

guardianalfred
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le 9 oct. 2017

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