N'ayant pas lu Do Androids Dream of Electric Sheep? du fameux Philip K. Dick, je ne me risquerai pas à la comparaison avec son illustre reflet cinématographique : Blade Runner ; réduire ce dernier à une simple réflexion de la version papier serait néanmoins malvenu, tant il outrepasse largement le simple carcan imposé par mon euphémisme "illustre".


Si l'on excepte un accueil peu jouasse sur grand écran, son parcours par-delà les frontières des salles obscures atteste, encore aujourd'hui, d'un rayonnement culturel n'ayant d'égal que son statut d'oeuvre culte, une étiquette clamée maintes et maintes fois et à laquelle je ne contreviendrai aucunement ; difficile en l'état de ne pas donner du crédit au génial Ridley Scott qui, non content d'avoir auparavant révolutionné le petit monde de la SF horrifique avec Alien, réitérait trois ans plus tard une performance de premier ordre, et c'est peu dire.


À bien y regarder, les déboires spatiales de Ripley au sein d'un environnement brillant d'inventivité, tant en termes d'apport atmosphérique que de crédibilité contournant avec brio le souci de l'économie, laissaient déjà entrevoir le potentiel formel incroyable que pouvait apporter Scott à un univers tiré de l'œuvre de Philip K. Dick ; et, comme de juste, Blade Runner est de ces long-métrages foulant du pied les affres du temps avec la manière, sa trentaine passée ne semblant à aucun moment susceptible de fausser la formidable claque graphique qu'était, et est toujours, ce récit d'anticipation précurseur.


Le film ne laisse d'ailleurs guère de place au doute, une somptueuse séquence d'ouverture annonçant d'entrée la couleur : telle une sombre peinture surplombant l'envers lumineux d'un Los Angeles insomniaque, cet envol captivant jalonné de geysers flamboyants fait état d'un futur pas si lointain mais non moins démesuré, la pyramidale Tyrell Corporation abondant en ce sens ; s'ensuit une longue fresque teintée d'onirisme et de superbes plans frisant l'approche contemplative, un constat renforcé par la BO aérienne de Vangelis, ici taillée sur mesure tant elle donne un supplément d'âme transcendant ce tableau immersif.


Le décor que pose cette Cité des Anges multiethnique constitue de fait un environnement des plus curieux, l'omniprésence de références asiatiques et d'une pluie brumeuse s'ajoutant au caractère hétéroclite d'un pan technologique inhérent à la déliquescence humaine ; sur fond de campagne glorifiant l'eldorado spatial, Blade Runner rend ainsi compte d'une société capitaliste à bout de souffle, et dont la facette perverse de l'ère des réplicants conduit ses protagonistes et spectateurs à un questionnement des plus existentiels : comment définir et reconnaître la nature fondant notre identité d'être humain ?


Le test de Voight-Kampff y fait écho en mettant en exergue l'empathie, érigé en l'espèce tel le critère suprême différenciant le réplicant de ses créateurs, tandis que la nature ambiguë de Rachel dans un premier temps, puis de Deckard dans sa globalité, nous renvoient à notre perception aisément faussée de la réalité ; pour autant, si le long-métrage a le mérite d'aborder avec finesse et cohérence ces thématiques complexes, au point d'en faire une œuvre majeure du genre néo-noir et cyberpunk, sa vision reste quelque peu "superficielle" dans la mesure où elle fait mine d'être un prolongement de cette fameuse ambiance mystique, marquée d'un penchant visuel justement contemplatif.


Difficile toutefois de jeter la pierre à ce récit empreint d'une alchimie déroutante et non moins passionnante, qui outre une composante formelle à tomber à la renverse bénéficie de l'apport d'un casting génial, porté par un Harrison Ford au laconisme charismatique ; son pendant artificiel qu'est Rutger Hauer lui tient pour sa part la dragée haute, celui-ci incarnant avec brio le leader d'un quatuor mêlant ambivalence et tours de force subjuguant, au point de donner lieu à un acte final profondément marquant.


Au même titre que le charme naturel de Sean Young, ou encore la compassion à l'égard du personnage de William Sanderson, la galerie secondaire illustre l'excellence chronique d'une distribution au service d'une intrigue sans fausse note ; Blade Runner demeure, en résumé, une expérience originale, pertinente et surtout en avance sur son temps, sa maîtrise technique et son inspiration graphique renvoyant au placard bon nombre de productions plus récentes... blockbusters aux budgets faramineux en tête de file.

NiERONiMO
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le 17 mai 2016

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NiERONiMO

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