La résurgence d'un souvenir : entre respect de l'oeuvre et appropriation de ses mythes

Après avoir vu Alien massacré par son créateur lui-même, on pouvait craindre qu’Hollywood s’attaque à nouveau à donner suite à un mythe de Ridley Scott, Blade Runner, sûrement le film de science-fiction le plus inspiré jamais réalisé. Et pourtant… Après avoir vu Premier Contact l’an dernier, j’étais sorti de la salle rassuré, rassuré que Scott se mette en retrait sur ce projet et laisse la caméra à Denis Villeneuve, qui venait de démontrer qu’il était capable de faire un excellent film de SF.


Quelques heures après mon visionnage de cette suite, je suis rassuré, satisfait. Blade Runner 2049 est loin, très loin de faire honte à l’original. Il constitue au contraire un magnifique hommage, en ce que Villeneuve a compris qu’il ne fallait pas avoir la prétention de vouloir à tout prix en faire plus. Le réalisateur québécois ne semble à aucun moment vouloir faire de l’ombre au Blade Runner original. Ce qu’il veut, c’est lui faire honneur, le rappeler au souvenir des anciens et, pourquoi pas, amener les nouveaux à le découvrir. Blade Runner 2049 est une déclaration d’amour.


Partant de là, Denis Villeneuve semble avoir eu les mains libres pour réaliser son film et le résultat est bluffant. Visuellement, c’est exceptionnel. La nouvelle version de Los Angeles et cohérente au regard de l’évolution de l’univers. Mais là où le film se démarque de son aîné, c’est dans toutes les scènes qui ont lieu en dehors de la ville. La décharge, l’usine, le laboratoire de souvenirs, sont autant de lieux qui permettent d’exprimer le talent du réalisateur et des équipes techniques. La mer située derrière un grand mur m’aura rappelé quelques visions du Dark City d'Alex Proyas, où les humains sont enfermés dans un monde où les distances se sont resserrées. Enfin, tout le passage se déroulant dans un Las Vegas orangé poussiéreux est absolument extraordinaire. Chaque plan est une toile, les mouvements de caméra sont parfaits, les scènes en intérieur magnifiques, mêlant visions futuristes et souvenirs nostalgiques. D’un point de vue formel, le film est une grande réussite. J’avais lu de nombreuses critiques faire référence à Tarkovski, j’ai été ravi de voir qu’on en retrouvait parfois l’esprit. Alors qu’un Inarritu dans The Revenant semblait se contenter de singer des plans et des manies de mise en scène du génie russe ; Villeneuve semble avoir saisi son essence, en chargeant de sens certains plans, à la manière de ceux qu'on retrouve dans Stalker (mon film préféré, j'apprécie forcément la référence).


Sur le fond, l’ensemble pêche sans doute un peu par manque de subtilité. Si certaines réflexions, parfois banales, sont puissantes (notamment autour du personnage de Ryan Gosling, K) ; d’autres manquent clairement de subtilité et laissent penser que Ridley Scott n’a pas pu complètement lâcher son bébé. Certaines scènes et dialogues rappellent sans aucun doute Prometheus et Alien Covenant, invoquant de façon un peu grossière les thèmes de la création et de l’homme-Dieu. Cela donne des personnages de Wallace (Jared Leto) et de son acolyte Luv complètement insipides dans un univers pourtant si ambigu. Aussi contrairement à la fin parfaite de Blade Runner, celle de Blade Runner 2049 est trop conventionnelle, trop simple sans doute en ce qu’elle n’appelle pas à une réflexion particulière.


Finalement, ces défauts importent peu. Tout le monde se serait souvenu de la suite de Blade Runner, qu’elle soit bonne ou mauvaise. En réalisant un film magnifique, Denis Villeneuve assure la pérennité de l’œuvre originale, en lui faisant une formidable publicité. Vous avez aimé Blade Runner 2049 ? Allez donc jeter un œil à Blade Runner, vous ne serez pas déçu. Respectueux de son modèle et plein d’humilité, Villeneuve a signé un grand film de science-fiction. Arrivé à cette conclusion, j’ai pu sortir apaisé de la séance, et c’était bien là l’essentiel.


La première rencontre de K avec la créatrice de souvenirs est chargée en symbolique quant à la signification formelle du film : L’auteur doit mettre sa personnalité dans son œuvre. Et c’est ce que fait Villeneuve en récupérant le film original pour y ajouter son talent. En cela, Blade Runner 2049 peut bien être vu comme un répliquant de Blade Runner. Il est né avec ses souvenirs et son ADN mais a acquis une personnalité propre. « Quelqu’un a déjà vécu ça », mais cela n’empêche pas le nouveau dépositaire du souvenir d’en faire quelque chose de nouveau. Villeneuve a donné vie à ce souvenir.
D'autres répliques peuvent être vues comme adressées directement au spectateur, notamment aux sceptiques de la première heure : Le film commence par un "Vous n'avez jamais vu un miracle" ; et aux deux tiers du film, on nous demande "Etes vous satisfait par notre produit ?". Clairement : oui.

L9inhart
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le 6 oct. 2017

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