La critique m'est délicate car je fais partie d'une catégorie d'individus plus large qu'il n'y paraît : le 1er Blade Runner a beau être magnifique, je le trouvais quand même un peu chiant à la longue. Arrêtez de me juger, nous ne sommes pas minoritaires. Pourtant j'ai vu la Final Cut sur grand écran. Mais le fait est que passé les 30 premières minutes hypnotisantes je trouvais le temps long, la balade urbaine prenait le pas sur le reste et ça ne me convenait pas. Comme cette suite reste dans la même logique contemplative avec 45mn de plus au compteur, il est donc normal que cela ne me convienne pas pleinement.


On va pouvoir évacuer ce que l'on savait déjà : c'est beau. C'est mega beau. Roger Deakins est clairement celui qui porte le film, ses brumes blanches ou orangées resteront longtemps dans l'imaginaire des spectateurs. Il faut ajouter à cela une excellente composition des plans par Denis Villeneuve. Il offre également de bons bruitages qui permettent de ressentir une impression faussement artisanale dans ces loupes qui font des zooms successifs, tout en laissant cette impression que la technologie a évolué depuis le 1er film. On garde ainsi un côté zen avec beaucoup de plages de silence. La contrepartie de ce fonctionnement en tableaux est qu'il limite la mobilité de sa caméra, cela convient bien à ce genre de film où chaque plan s'admire mais cela le rend assez froid et ne lui attirera pas les faveurs de tous les spectateurs. Denis Villeneuve choisit un rythme lancinant avec des plans qui durent pour nous laisser en profiter, mais sur 2h43 cela finit tout de même par me peser.


Denis Villeneuve paie son tribut au 1er volet : il offre aux fans des plans nocturnes d'une ville bardée de néons et d'hologrammes sous la pluie et balance régulièrement des clins d’œil, certains font un peu trop fan-service, mais pas de quoi se sentir exaspéré (sauf quand il refourgue des enregistrements audio). Il propose en plus une utilisation judicieuse des hologrammes et nous fait visiter des endroits à l'extérieur que le 1er film ne pouvait nous laisser deviner. Il y a plein de petites choses à droite à gauche qui sont belles, voire magnifiques. Il y a une scène d'amour rappelant un certain film de SF de 2014 qui est peut-être le seul passage où Denis Villeneuve fait de la mise en scène autrement qu'en filmant silencieusement un paysage vide sur un long plan fixe, convoquant une gêne liée à l'artificialité de la situation. Le problème c'est que tout cela est très dispersé.


Le film offre plein de pistes, mais aucune n'aboutit vraiment. Tout ce qui est dit sur les robots par exemple, c'est du connu et ce film n'y apporte presque rien. Le délire démiurge de Wallace à leur sujet, c'est exactement le même que dans le 1er film. L'objectification des robots, on connaît. Les questions sociales sur l'acceptation des IA sont posées mais absolument pas traitées, ce qui les rend inutiles puisqu'elles ne nous apportent rien qu'on ne connaisse déjà. On nous dit que ces nouveaux replicants ne peuvent pas désobéir à leur maîtres mais on ne s'en rend jamais compte, pire j'ai l'impression que cette consigne est royalement ignorée alors que c'était une des rares pistes un peu intéressantes et nouvelles que le film offrait. On a pas mal de trucs qui passent complètement à la trappe, comme s'il fallait attendre une suite pour que ce soit correctement développé. On doit se contenter d'un vague questionnement sur l'artificialité d'un sentiment exprimé par une IA (pour rester vague) mais celui qui attendait une réflexion de SF en sera pour ses frais alors que le film passe beaucoup de temps dessus.


Au final, qu'a raconté Blade Runner 2049 ? Il a évoqué l'émancipation des robots comme tant d'autres et n'en a presque rien fait, ou alors il s'est contenté d'enfoncer des portes pourtant déjà bien fracassées. Il s'est forcé à raccrocher les wagons avec Deckard, mais plus j'y réfléchis et plus je me dis que c'était parfaitement inutile et que beaucoup de monde aurait préféré qu'on laisse la fin ouverte de Blade Runner comme elle était. Deckard ne représente que le passé, le témoin d'une époque oubliée, et il apporte avec lui le fan-service. Je ne sais même pas pourquoi il constitue un enjeu dans l'histoire. Autant j'acceptais les références faites en début de film, autant quand j'en suis sorti j'ai eu l'impression que ce fan-service était en trop. Au lieu de présenter des plans, des séquences, des personnages pour leur sens et l'atmosphère qu'ils apporteront au film, tout ça est présent juste pour rappeler que ça faisait très longtemps qu'était sorti Blade Runner. Je me suis demandé à un moment s'il allait y avoir un discours sur le risque qu'il y avait à détruire des choses du passé en les déterrant, ce qui était tout l'enjeu de la confection d'une suite à Blade Runner. Mais non, il s'agit juste de montrer le passé pour la nostalgie en accompagnant le tout de statues écroulées pour appuyer l'impression qu'une grande époque s'est éteinte. Même les musiques diégétiques sont de vieux morceaux, dans le futur plus personne ne semble sortir de nouvel album. Ce n'est pas quelque chose qui va m'insupporter sur le coup et Denis Villeneuve fait suffisamment de propositions pour qu'on ne hurle pas à la photocopie, mais sur la longueur c'est peut-être ça qui m'a tué le rythme. Parce que ces références étaient belles mais creuses, et donc moins fascinantes et mémorables que l'ambiance de polar noir que dégageait l’œuvre de Ridley Scott, qui avait le mérite d'être plus resserrée sur son intrigue et de ne pas partir dans toutes les directions pour rien. Ce film était aussi caractérisé par plus de vie dans le cadre là où Denis Villeneuve choisit d'être plus glacé et d'offrir de larges étendues vides. Trop d'étendues vides, quand on laisse reposer le film on se rend compte qu'il contient essentiellement du rien. Du beau rien, mais du rien que l'on oublie.


Je sors donc de Blade Runner 2049 en me disant que Denis Villeneuve ferait de bons documentaires du futur, mais qu'il ne sait pas comment mettre les images de Roger Deakins au service du film. En dehors d'une seule scène je n'ai jamais été touché. J'étais parfois admiratif devant cette esthétique, devant l'ambiance maniérée et glaciale. Je n'ai pas vu de séquence ratée, de scène énervante. Mais fallait-il accorder 2h43 à un retour du skin Blade Runner au bout duquel je ne ressens rien ?

thetchaff
6
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le 5 oct. 2017

Critique lue 604 fois

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thetchaff

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