Blade Runner était attendu. C’est un doux euphémisme. Sachant que son prédécesseur a marqué tout un pan de la science-fiction au cinéma, la pression était grande. Dans un projet comme celui-ci, de multiples questions s’imposaient et de nombreuses craintes se faisaient ressentir sur la légitimité du film à s’inscrire comme suite et sur la place de Denis Villeneuve dans l’espace créatif de l’œuvre. De ce point de vue-là, Blade Runner répond à ses interrogations par la positive et devient par bien des aspects, un contrepied acide aux blockbusters qui pullulent le système hollywoodien actuel.


Un blockbuster qui se mue en véritable film d’auteur alors que l’inverse est souvent le cas comme en témoigne le bon mais sans relief Ghost in The Shell de Rupert Sanders. Malgré une première séquence implosive et bourrée de testostérone, Blade Runner 2049 laisse place à l’introspection des êtres et à la contemplation des lieux, faisant de cette suite, une enquête policière qui se métamorphose en quête identitaire.


Les questions relatives à l’âme, l’espèce humaine, la création, l’homme et/est Dieu, l’étroite frontière entre les entités robotiques et les humains, la production de masse d’entité androïdes et les naissances naturelles, le terrorisme moderne, sont belles et bien présentes dans une œuvre qui ne réinventent pas toute la topographie de la philosophie science fictionnelle mais qui a le mérite de pas tomber dans les écueils habituels. Certes, le film de 2017 est beaucoup moins mystérieux que celui de 1982, et prend la tangente d’un Christopher Nolan dans cette volonté d’expliquer les choses. Mais là où Blade Runner 2049 perd en zones d’ombres, il gagne en émotion, comme Premier Contact, grâce à son histoire mais aussi par un Ryan Gosling magistral dans son rôle, qui ressemble beaucoup aux intonations qu’il utilise dans ses collaborations avec Nicolas Winding Refn.


Blade Runner 2049 ne sent jamais le vieux fait avec du neuf, mais se dote d’un modernisme qui permet au film d’immiscer ses propres questionnements comme par exemple cette belle histoire d’amour s’intéressant à la matérialité de l’amour et du corps humain. D’ailleurs la scène de triolisme rappelle celle de Her de Spike Jonze. C’était déjà le cas pour Ghost In The Shell mais ça l’est encore plus pour ce Blade Runner 2049 : il est intéressant de mettre en perspective un film quant à son propos : la place de la réalité et du faux, de l’humain et de la fabrication, donc de l’original et de la copie. Blade Runner 2049 sera-t-il une copie androïde du film de 1982 ou trouvera-t-il sa propre âme. Oui, Blade Runner 2049 voit en son antre son propre flux sanguin couler dans ses veines, avec une force centrifuge assez impressionnante.


Au-delà d’être un objet visuel vertigineux, grâce à l’intelligence du cadre de Denis Villeneuve qui accompagne l’aspect post apocalyptique de son environnement par une mise en scène léthargique et quasi immobile, et grâce à toute l’équipe de Roger Deakins qui ont créé une atmosphère esthétique et chromatique hypnotique, Blade Runner 2049 pose ses jalons de possibles futurs classiques. Alors que le premier Blade Runner voyait ses décors foisonnants parfois remplis d’une foule écrasante, le film de Denis Villeneuve se déroule après un black-out qui voit naitre un espace parfois vide de toute humanité, des lieux épurés de toute vie qui se rapproche de l’abstraction totale qui épouse les formes de films tels que Stalker d’Andrei Tarkovski.


Ne voulant pas être qu’une simple suite et voulant créer sa propre indépendance quant à l’imaginaire collectif que l’on se fait du premier de Ridley Scott, «2049 » est puissamment cohérent quant à se trame surtout lorsque l’on coche le nom de Denis Villeneuve. Car même si le réalisateur n’est pas à l’origine du script, la plupart des thématiques de Blade Runner 2049 jalonnent la filmographie du canadien comme si ce dernier était le film somme du cinéaste, se réappropriant la même perception du cinéma : l’extorsion du cinéma de genre pour faire ressurgir des thématiques intimistes. De là, s’acquiert toute la force de ce Blade Runner : s’amuser d’un enclos cinématographie codé, pour alimenter la vision propice qu’il se fait de l’humain.


Des souvenirs qui font l’âme et l’amour d’une personne dans Premier Contact, cette quête de création et filiation dans Incendies, les souffrances d’une enquête policière et les sacrifices qu’un père est prêt à faire pour sa famille dans Prisoners, le dédoublement et le trouble identitaire dans Enemy, Blade Runner embrasse tous ses sujets avec une maestria. Blade Runner 2049 est un très beau film, un blockbuster aux antipodes, un film d’auteur foisonnant. Un film qui comprend tout ce que peut apporter la science-fiction dans la sphère cinématographique. Grand.

Velvetman
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le 7 oct. 2017

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