Premier long-métrage de fiction du thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, aussi connu sous son surnom de « Joe », Blissfully Yours est en soi une introduction idéale au cinéma si singulier du réalisateur asiatique. Amorçant des lieux et des thèmes que l’on retrouvera postérieurement dans ses productions plus récentes, posant les bases de cette forme poétique qui, entre le conte moderne et l’onirisme plastique, n’en a toujours pas fini de créer des divisions dans son appréciation.


Blissfully Yours fonctionne en deux temps bien distincts, deux parties opposées à la fois en terme de rythme et de décors mais qui se complètent artistiquement, l’une ne pouvant fonctionner sans l’autre. Pendant quarante-cinq minutes, jusqu’à son tardif générique, Joe peint le monde urbain, dessine lentement mais surement cette ambiance claustrophobe, où les personnages évoluent entre quatre murs, qu’il s’agisse de ceux d’un hôpital ou de la carcasse de leur voiture. Plus simplement, Joe capte la pudeur émotionnelle du quotidien. La routine, la banalité des échanges et la pureté symbolique : c’est par l’utilisation d’un cadre simple et modeste qu’il pose ces briques stylistiques loin d’être anodines.
Dans sa deuxième heure, Blissfully Yours s’échappe, s’évade de cette vie ordinaire, de ce giron étouffant de la civilisation. En rejoignant cette figure récurrente de la jungle thaïlandaise, Joe se libère de toute contrainte scénaristique en la substituant par ces longues scènes introspectives, purement sensorielles, dont la simple nature en fait une expérience cinématographique brutale. Actes sexuels crus, langage des corps, chant primitif du monde sauvage. A l’image de ce plan final aussi risqué que riche de sens, Joe ouvre ses personnages à la vie, leur donne un souffle et des questionnements reposant uniquement sur l’empathie même du spectateur.


Le cinéma de Joe est une expérimentation. Il n’est ni simpliste, ni prétentieux – Blissfully Yours est d’une retenue sans pareil, indescriptible et pourtant si facile à exprimer : c’est en transportant son interlocuteur dans un état quasi léthargique, entre le rêve animé et le cinéma expérientiel, qu’il le touche finalement au plus profond de sa personne. Certains y verront une succession ennuyeuse de non-cinéma, d’autres la porte d’entrée à une sensibilité filmique unique et hypnotique.

Vivienn
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le 2 sept. 2015

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