Un film exceptionnel et déroutant à bien des points de vue. Qui fit scandale à son époque : c'était la première fois que l'on voyait un corps de femme dénudé dans un film non pornographique, celui de Jane Birkin en l'occurrence.

Le thème central du film est la limite entre virtuel et réel. Thomas, hors de son studio où il règne en maître omnipotent (et tyrannique, j'y reviendrai), monde virtuel qu'il modèle à sa guise, est saisi par la brutalité crue de l'extérieur. Remarquable paradoxe entre la beauté des photos de sans-abris, et la misère noire du centre d'acceuil qui les hébergent.

Paradoxe aussi entre ce qui semble être un couple s'ébrouant joyeusement dans un parc, et qui fuit en fait la scène d'un crime.

Antonioni remet ici le rôle de l'image comme preuve tangible en cause, montrant bien l'ambivalence qu'elle peut porter. C'est d'ailleurs tout l'art du film de jouer sur les faux semblants.
Ou retrouve aussi l'opposition virtuel réel au tout début du film, avec le montage alterné entre la sortie du centre de sans-abris, et une troupe de clowns s'agitant dans la rue.

Un film doté d'un rythme lent (pour autant, on ne s'ennuie pas un seul instant), au visuel dépouillé, pour ne pas dire austère. Originalité pour l'époque, moment de gloire du psychédélisme. Pas d'explosion de couleurs ici donc, mais des lignes épurées, peu d'arrondis, et des teintes sobres (ternes même). De ce fait, on se sent empoigné par une impression de tristesse, qui colle parfaitement au ton désabusé du film. Pour autant, il y a des scènes sublimes : la première scène, et son montage alterné, la première scène de shoot photographique, la scène érotique entre Thomas et les deux jeunes filles qui souhaitent qu'il les prenne en photo ...

Même si Vanessa Redgrave est tête d'affiche, c'est David Hemmings qui incarne le héros principal du film. Un héros complexe, macho (les mannequins qu'il photographie ne sont que des outils de travail, qui doivent se plier à sa volonté), naïf (il se fait berner en beauté par Vanessa Redgrave), et incapable de faire face au monde réel (il doit se référer à son agent pour agir). On retrouvera le couple Hemmings-Redgrave un an plus tard, et avec plaisir, pour La charge de la brigade légère. Et, ce qui ne gâche rien, Hemmings a un superbe regard bleu.

Outre l'opposition réel/virtuel, le film traite aussi de la condition féminine (dur de ne passe sentir révolté par la manière dont Thomas traite ses modèles), de la libération sexuelle alors en cours (le film est d'une grande sensualité, même si on peut discuter de l'esthétisme des corps décharnés des mannequins photographiés), et nous offre un panorama du Londres Underground de l'époque. Le personnage de Thomas n'est pas sans évoquer David Bailey (il me semble que c'est son nom), un photographe fameux de l'époque, issu d'un milieu pauvre. Il y a aussi cette scène avec les Yardbirds, dans une salle qui existait réellement, et qui était un haut lieu du rock'n'roll. D'ailleurs, pour l'anecdote, et pour les puristes du rock, ne soyez pas étonnés de voir Jeff Beck casser sa guitare à la manière d'un Pete Townsend, et démolir à moitié un ampli : les Who devaient originellement assurer cette scène, mais ne purent pas. Antiononi engagea donc les Yardbirds, en leur demandant de reprendre le jeu de scène des auteurs de My Generation !

Un superbe film, sensuel, profond, doublé d'un magnifique témoignage sur son époque, et sur le métier de photographe. Du bon cinéma comme on l'aime !
Pedro_Kantor
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le 29 nov. 2010

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Pedro_Kantor

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