Le voyeurisme comme refuge à l'impuissance

Il paraît difficile de passer outre l'analyse dans un film comme Blow-Up, tant son scénario n'apparaît globalement que comme un prétexte à la mise en scène virtuose d'Antonioni. La fameuse tentative de meurtre découverte sur les photos n'intervient qu'aux deux tiers du film environ, et n'est que secondaire dans le film. Le spectateur n'en saura d'ailleurs strictement rien de plus à la fin du film, laissant le mystère du meurtre comme un élément supplémentaire d'interprétation.


Son principal sujet pour moi est en fait la relation entre le photographe (dont on ne connais pas le nom d'ailleurs si je me souviens bien) et les femmes. Sa place dans une société en pleine décadence, où la liberté sexuelle et artistique grandit. Rapidement, il apparaît comme un mâle dominant, un artiste sûr de lui et méprisant tout le monde : son assistant, ses modèles, son épouse, les autres femmes. La première scène de photographie le place clairement en position de force, faisant ce qu'il veut de son modèle féminin à la manière d'une relation sexuelle.


Et c'est là que j'ai commencé à me dire que le film parlerait beaucoup de sexe, et donc à réfléchir sur le portrait fait du photographe et quelle métaphore pourrait avoir l'appareil photographique. Le personnage est constamment présenté comme un être sexuel fort, et pourtant rien n'est concrétisé : on ne le voit jamais coucher avec les femmes qu'il a conquis (celle prise en photo dans le parc et les deux apprenties modèles), sa femme le trompe sans se cacher avec un autre homme (il a "l'impression d'avoir des enfants sans en avoir" par ailleurs comme il le dit lui-même, symbolisant peut-être l'acte manqué). Surtout, la scène qui m'a définitivement convaincu reste celle du concert de rock, où un des guitaristes, en colère car son ampli ne fournit par de son à sa guitare, finit par la casser violemment contre le sol et jette le manche dans le public (rempli bien sûr de femmes surexcitées... et du photographe, qui récupère le manche cassé). La métaphore évidente de l'impuissance prend ainsi parfaitement sa place dans la société des années soixante.


Mais l'impuissance se manifeste aussi bien sûr dans sa position de photographe, où les photographies qu'il fait dans le parc ne lui permettent par d'empêcher un meurtre comme il le pense au début, mais seulement de constater son existence cachée auquel personne d'autre ne prête d'intérêt. L'homme se retrouve seul, impuissant face à l'évolution de la société, et finit même par disparaître comme le corps du meurtre a disparu.


Son jet de la balle "invisible" est sans aucun doute le moment qui m'a le plus touché du film, un lancé comme un ultime appel à l'aide face à son inexistence, un paroxysme de l'absurde après cette partie de tennis dont je n'ai à vrai dire pas vraiment compris le sens.


Et puis il y a toute la réflexion sur l'image, ce jeu sur les reflets des modèles féminins qui ne sont que des images façonnées prêtes à disparaître, l'appareil photographique comme témoignage de la société et en même temps son principal moteur. Mais d'autres critiques en parlent mieux que moi.


Un film a regarder donc pour la beauté et la précision de la mise en scène, qui risquerait de dérouter si vous vous attendez à un scénario dramatique efficace.

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le 6 juil. 2015

Critique lue 440 fois

10 j'aime

Antofisherb

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10

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