(Se) fondre dans la masse
Tout d'abord, il est utile de préciser qu'écrire une critique sur Blow up me semble assez difficile. Difficile car il s'agit d'un film complexe aux approches je pense multiples et qui peut se lire de différentes manières. Difficile également car tout n'est qu'étrangeté que ce soit dans la mise en scène, dans le scénario et même les acteurs, déjantés ou bien simplement bizarres.
Le film veut faire de l'étrangeté des situations son fil directeur. Antonioni veut, selon moi, faire douter de la véracité des faits le spectateurs, l'amener à imaginer l'impossible et ainsi remettre en question ce qu'il sait de la réalité. Cela s'inscrit dans le contexte de l'époque où la jeunesse veut faire bouger les choses grâce notamment à la musique, le "Peace and Love" est omniprésent, chacun n'aspire qu'à changer le monde mais n'y arrive pas contraint par les forces déjà en place et donc qui ont fixé les règles de ne rester qu'un mouvement éphémère dans l'histoire sans pour autant n'avoir laissé aucune trace.
Sorti en 1967, le film s'inscrit donc dans une Angleterre jeune et libertaire particulièrement sexuellement et musicalement parlant. Le charme de ces années, inconnues de ma génération mais juste rêvées ou imaginées ressort dans chaque plan du film, chaque personnage, vêtement, musique, situation, lieu est empreint de cette ambiance si particulière. Une époque révolue donc mais qui ne parait pas lointaine dans le film, on se croirait même dans le présent. En cela, le sentiment d'étrangeté s'insinue chez le spectateur. Antonioni, par ce film, a réussi l'irréalisable : faire perdurer cet état d'esprit si particulier des années 1960, le garder hors du temps, intact et le confronter à la réalité du spectateur, même une cinquantaine d'années plus tard. Ainsi, on peut se demander déjà si la réalité est-elle qu'elle est, si finalement, on ne rêve pas en voyant ce film.
La liberté de pensée de ces années est omniprésente et évoquée à de nombreuses reprises tout au long du film, du concert des Yardbirds à la scène du plan à trois où pour la première fois dans l'histoire du cinéma anglais on montre une jeune fille complètement nue, tout ne fait que rappeler la liberté sexuelle que la jeunesse veut acquérir et ainsi libérer les mœurs de beaucoup trop de préjugés sociaux.
L'histoire elle-même est typique des années 60 et notamment de l'Angleterre : un jeune homme est témoin d'un meurtre, sans le savoir et s'aperçoit après plusieurs essais que la jeune fille qu'il pensait avoir sauvé était en fait complice ou tout du moins peut-on le supposer, de cet assassinat. Ainsi, le personnage principal se trompe, réessaye encore et encore de comprendre la situation, de démêler le sac de nœud sans vraiment y arriver. Finalement, pour en avoir le cœur net, il va tenter de revenir sur les lieux du crime et trouvera bel et bien un corps inerte. Cependant, en rentrant chez lui, les preuves auront disparu, quelqu'un ayant récupéré les négatifs ainsi que toutes les photos. A partir de là, le spectateur, tout comme le personnage principal doute. Que nous arrive-t-il ? Comment est-ce possible ? Est-il légitime de douter de la situation initiale ? Ou bien faut-il accepter la situation finale telle qu'elle est et se résoudre à une sorte d'hallucination du personnage/artiste ?
Le parallèle est facile ainsi vis-à-vis de la jeunesse de l'époque, évoquée par le groupe de mimes qui cherche à faire du bruit, à se faire entendre au début et à la fin du film et changer les choses, changer leur réalité. La jeunesse aurait vu le meurtre et donc voudrait changer les choses cependant, le gouvernement et les forces de l'époque l'en empêche en camouflant les preuves et en faisant croire à tout le monde que rien n'est jamais arrivé.
Le film est d'ailleurs très représentatif de cette jeunesse qui veut changer les choses mais qui ne sait pas comment s'y prendre si bien que, comme le personnage principal qui ne peut rien faire sans l'accord et les conseils de son agent, elle ne sait pas comment agir et finit par revenir à ses petites activités anodines, laissant définitivement ses rêves de changements de côté et adhère à la masse comme le personnage (c'est alors symbolisé par le bruit des balles de tennis qu'il entend à la fin, qu'il se persuade à entendre).
Le personnage disparait finalement, tout comme la jeunesse et ses rêves.
Le film est donc troublant de bout en bout. En un instant, le talent de la réalisation nous fait douter alors que la seconde précédente, les preuves paraissaient tout à fait claires et définitivement irréfutables. C'est avant tout la réalisation millimétrée, entrainant le spectateur avec son personnage principale, vivre sa vie et les aventures qu'il s'invente que Michelangelo Antonioni réussit sont tour de force et surprend tout le monde.
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