Le trip, c'est chic

Découvert lors de sa sortie en salle dans des conditions optimales d'immersion (en séance privée, le pied), Blueberry : l'Expérience Secrète avait déjà réussi à me fasciner par l'intense beauté de ses images, de ses décors naturels et de ses séquences de trip offrant un spectacle totalement autre.

C'est à la faveur de sa diffusion sur NRJ12 que j'ai saisi l'occasion de m'y replonger.

Le film de Jan Kounen consacre d'abord ses premières minutes à sa partie la plus évidente et classique car, comme le dit la vieille femme qui assiste le chamane "il n'est pas prêt". Ce "il" désigne bien plus le spectateur, habitué à un certain confort, que le personnage principal. Ce spectateur qui aime bien être pris par la main. Kounen prépare cependant le terrain en douceur avec ses images de flashback superposées, ses plans d'une Nature aussi majestueuse que rugueuse ou encore ses plans aériens des décors d'une beauté minérale, pouvant être interprétés comme la démonstration de la communion de Blueberry avec son environnement.

L'imprégnation continue avec certains aspects de la culture amérindienne et le questionnement sur ce qu'est réellement celui qu'on surnomme Nez Cassé, ainsi que sa capacité à surmonter ses peurs.

Le retour à Palomito, avec Vincent Cassel, donne à fouler au spectateur un sol moins rocailleux, en ce que le film revient à sa trame classique du western avec la découverte des montagnes sacrées, la recherche de l'or et l'irruption de Wally Blunt dans la bourgade. Blueberry y est déstabilisé par le retour du croquemitaine parmi les vivants, issu de son passé traumatique. Les démons et les peurs refoulées s'installent, terreau fertile au questionnement qui a été posé dans les premières minutes de l'oeuvre. Et pendant que les flammes dansent autour de Nez cassé, à nouveau quelques images fugaces, faisant écho à son enfance.

Kounen juge ensuite que le spectateur a été assez préparé. les premiers délires s'emparant de Blueberry, inquiétant et impressionnants, terrassent le marshall. Certes, certaines expressions de l'acteur sont, disons, embarrassantes. Mais les images nous plongent au coeur d'une symbolique distordue, noire et surréaliste.

La chevauchée vers les montagnes sacrées offre une respiration dans ce voyage intérieur, qui prend enfin toute sa dimension hallucinée

A cette occasion, les délires psychotropes délaissent la noirceur pour des couleurs plus chaudes, dans un abandon et un lâcher-prise total.

Si l'expérience sensorielle est puissante et inhabituelle dans un tel film et un tel genre balisé, quelques longueurs empêchent malheureusement Blueberry : l'Expérience Secrète d'accéder au rang de chef d'oeuvre imparable. Il demeure cependant un OVNI fascinant et risqué dont on s'étonne encore, quelques douze ans après sa sortie, qu'il ait pu voir le jour au sein d'un système de production français déjà vérolé par le gras et le vulgaire de comédies têtes de gondole au rire rare et imbécile.