Ultime film de la grande période De Palmienne, Body double s’ouvre comme s’ouvrait trois ans plus tôt Blow out, par une séquence de film à l’intérieur du film. Il s’agissait de rushs visionnés dans l’un, du tournage d’une scène dans l’autre. La boucle est bouclée. A l’instar de Vertigo (Difficile de ne pas citer Hitchcock ici, encore) l’ouverture permet d’évacuer le point de lancement du récit en évoquant la phobie du personnage principal. La claustrophobie se substitue au vertige. Craig Wasson et avant lui James Stewart, sont tous deux happés dans une machination folle, se servant de leur peur, ad nauseam. Il s’agit pour eux de voir sans savoir qu’ils devaient voir et que ce qu’ils croient voir n’est pas vraiment ce qu’ils voient.


 Comme dans L’inconnu du Nord express, c’est une rencontre qui bouscule tout. Celle d’un homme en apparence bienveillant, qui va utiliser une proie parfaite afin de fabriquer son alibi. Tout l’enjeu du film est alors de questionner la thématique de la doublure ; Le film se ferme d’ailleurs de façon explicite, plus ou moins comme il s’ouvrait, par une scène de tournage, cette fois dans l’optique de faire intervenir le double, précisément, transformer la prise en injectant le modèle féminin dont on extirpera les plans de nu. Pour que le spectateur y croie, il faut qu’il n’y voie que du feu ; Lui faire assimiler que le corps nu est le prolongement de ce visage et de cette nuque en train de se faire dévorer par le vampire.
Jake Skully aura aussi été ce spectateur dupé, il aura vu danser sa voisine sans savoir que celle qui dansait n’est pas celle qu’il verra plus tard se faire assassiner. Pour lui faire admettre la supercherie, le convier au piège, il fallait un metteur en scène. Ce sera Sam Bouchard, cet étrange acteur qui le récupère dans un moment de grande vulnérabilité (au chômage et cocu) et lui prête l’appartement luxueux d’un ami – ce qui arrange semble-t-il tout le monde – en lui montrant le spectacle sexy auquel il pourra assister chaque soir, à la même heure. Et le tour est joué. Il suffit qu’il regarde. Qu’il voit la femme, aperçoive un indien. C’est tout.
Body double contient nombreux blocs de séquences étourdissantes, notamment celle, gigantesque, où Jake suit Gloria Revelle, de chez elle jusque sur une plage, en passant par un immense centre commercial. Séquence quasi muette qui rappelle évidemment beaucoup une autre séquence mémorable de Vertigo. La scène clé ainsi que deux autres, non moins exceptionnelles : Celle de la longue vue, accompagnée par le score de légende de Pino Donaggio puis celle du tournage porno avec l’apparition de Mélanie Griffith sous les effluves pop du morceau culte de Franky Goes to Hollywood.
Scène double assez géniale puisqu’elle embraye un tournant où Jake a tout compris, avant que nous spectateurs cupides acceptions aussi d’avoir tout compris, à l’image de ce tournage dont on ne dit pas qu’il en est un, au même titre que cette répétition, avant qu’on ne le comprenne par nous-même. « I like to watch » lâche Jake au metteur en scène avant de plus tard le répéter à l’actrice pour la scène d’essai en question, dans un plan magistral de faux split screen on ne peut plus De Palmien. L’effet de miroir est si puissant qu’on en oublie une résolution moins vertigineuse, notamment dans l’explication au policier, franchement de trop, qui plus est dans ce banal montage en flashbacks.
Le film surtout est traversé par des images insensées, objets, présences ou évocations qui deviennent des formes révélatrices et annonciatrices comme la key card, le tatouage, le sac, la chorégraphie, la culotte, le masque, le chien. C’est plonger dans les entrailles du cinéma, au sens propre du terme, puisque pornographique, pour en saisir toute sa dimension manipulatrice. La maitrise avec laquelle le cinéaste nous convie à ce vertige fou frise l’insolence. Il va de soi que la nouvelle copie 4K mise en circulation récemment y joue beaucoup et permet de redécouvrir cet immense chef d’œuvre dans les conditions les plus optimales.
JanosValuska
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le 4 févr. 2016

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JanosValuska

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