La force du cinéma Français actuel réside peut-être dans sa capacité à nous séduire par l'inattendu. L’an dernier, il avait touché notre sensibilité avec Perdrix, nos tripes avec Un pays qui se tient sage, ou notre nostalgie avec Play. Cette année, c’est Boîte noire qui emporte tout, que ce soit notre cœur ou nos oreilles.


Embarquement immédiat à travers un polar sensationnel mené de main de maître par Pierre Niney. L’acteur signe la meilleure performance de sa jeune carrière, en anti-héros surprenant. L'investissement qu’il laisse dans son interprétation contribue à instaurer un peu plus de pesanteur à la réalisation. Si sa ressemblance fortuite avec Edward Snowden ne lui sert à rien quant à la résolution de son enquête, Niney séduit toujours quand il incarne l’introversion. L’acteur franchit un palier en terre promise, jouant pour la seconde fois devant la caméra de Yann Gozlan (après Un homme idéal (2015)). Réalisateur encore trop méconnu du grand public, le natif d’Aubervilliers peut profiter de son statut d’outsider pour surprendre les salles obscures. Audacieux et plein de panache, il le fait ici de manière remarquable. S’aventurant entre The Guilty (2018) et le Blow out (1981) de De Palma, Gozlan nous propose une expérience auditive sensationnelle. Si son cinéma emprunte (on peut comparer certains aspects de sa mise en scène à l’intéressant Le chant du loup (2019) d'Antonin Baudry), il est aussi le témoin d’une grande maîtrise. Rien n’est laissé au hasard dans Boîte noire. Sa photographie obscure permet une réelle immersion dans l'enquête, et son traitement sonore est si précis qu’il pourrait faire frémir le Conversation secrète de Coppola, palme d’or 1974. Ce long métrage, excellent dans sa mise en tension, crée une atmosphère étouffante et réussit à rendre parano le spectateur grâce à l'utilisation d’artifices tous plus ingénieux les uns que les autres. Certains passages génèrent tellement de suspense que l’on pourrait les intégrer volontiers à un bon film d’horreur. Les seconds rôles de Boîte noire apportent tous une réelle consistance à l’investigation : Lou de Laage est surprenante (et amène la lumière, à la manière d’une Patricia Arquette par exemple) au côté d’André Dussolier et Sébastien Pouderoux, très bon tous les deux.


À sa manière, le film aborde une multitude de thématiques intéressantes. D’abord, la concurrence au sein de l’ industrie des transports (ici l'aéronautique). Rivalité qui met en exergue la course à la réussite commerciale qui oppose les avions des cinq continents, au point de négliger les défaillances matérielles et indirectement la sécurité humaine. Ensuite, la couverture opérée par les médias après une catastrophe humaine : la nécessité de produire des flash infos incessants, provoquant une curiosité presque maladive des journalistes. Enfin, le rapport à la pression, qui semble toucher chaque protagoniste de cette histoire. Paradoxalement, alors que l’oreille se trouve au centre du récit, tous les personnages semblent souffrir d’un manque d’écoute, qui les pénalise à différents degrés. Il est également nécessaire d’aborder l’importance de la technologie dans ce film qui n’aurait pas pu être créé au siècle dernier. Gozlan, conscient de sa chance, a le sens du détail. Utilisant toutes les ressources disponibles, il multiplie les démonstrations techniques, tout en vulgarisant au maximum le vocabulaire complexe de l’aviation. Cela lui permet de déployer un arsenal de logiciels tous plus perfectionnés les uns que les autres pour servir sa mise en scène. Il n’est donc pas rare de voir un banc de montage audio ou une image de webcam dans ce long-métrage, ancré dans son époque.


Malgré la propreté de sa copie, Boîte noire a cependant quelques faiblesses. La multitude de péripéties qui déferle sur ce pauvre Pierre Niney écorche parfois l’aspect réel que tend à défendre la réalisation. Ce rythme saccadé affecte la réalisation, qui se rattrape tant bien que mal par l’usage de flashs back. Le film souffre donc de quelques longueurs, sans que cela ne lui porte trop préjudice.


Boîte noire est à l’heure actuelle l’un des meilleurs films de l’année, nouvelle preuve que notre cinéma français peut faire dans le spectaculaire sans tomber dans la démesure. Une petite merveille, à voir en salle absolument, pour profiter de conditions optimales.

Baptiste-Gouin
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le 8 sept. 2021

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Baptiste Gouin

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