Boogie Nights est le film de l’envol pour Paul Thomas Anderson : passée la case du premier film, petite copie proprette, il est désormais temps d’affirmer sa singularité.
Il est intéressant de voir à quel point cet opus entre en résonance avec Magnolia : la quasi-totalité du casting est déjà présente, pour un récit d’une durée presque similaire, soutenue par une mise en scène au lyrisme commun. La différence, cependant est de taille : Boogie Nights raconte une communauté, une collectivité, tandis que Magnolia fait le lien entre des âmes esseulées. Ici, l’illusion d’une aventure collective propre aux 70’s est encore vivace, même si elle prendra des coups.


PTA, on le sait, mise tout sur la fluidité. Les plans séquences auxquels il recourt dessinent les contours d’une assemblée en pleine euphorie. Du night-club initial à la villa, la caméra passe d’un groupe à l’autre, portée par les mouvements harmonieux de Roller Girl, au milieu d’une collectivité qui croit faire la fête en même temps qu’elle travaille. Des discussions inutiles comme seules les soirées (ici, même de jour) savent en générer à la drogue, des négociations à la représentation de soi, tout est dit en quelques séquences assez virtuoses, la caméra accompagnant les personnages jusque dans la piscine, ce qui n’est pas sans rappeler un autre état des lieux de la décadence festive, le formidable plan séquence initial de Soy Cuba.


Le récit initiatique permet d’apposer sur ce nouveau monde un regard assez tendre. Tout d’abord par l’angle technique avec lequel on aborde le milieu du porno, que ce soit par le gimmick assez amusant du regard porté sur les attributs du jeune premier, et qu’on nous révélera au dernier plan ; les équipes sont des pros, et ont le goût d’un travail bien fait, dans une ambiance d’entreprise familiale portée par la star locale, Juliane Moore en mère aussi attachante que déviante.


Car c’est là l’un des enjeux du film : traiter de l’artisanat d’une industrie avant l’avènement de la vidéo dans les années 80. Le portrait d’un âge d’or est à la limite de l’hagiographie, même si l’on prend soin de saupoudrer le tout de quelques égratignures à coups d’overdoses et de pétages de plomb, notamment grâce à la belle idée du mari trompé par sa femme nymphomane, signe d’une libération sexuelle qui ne se fait pas sans dégâts.


Le metteur en scène explique l’enjeu : retenir le spectateur quand il a joui. Son idéal, faire un véritable film, est bien entendu le défi relevé par Anderson, qui ajoute au clinquant musical et affriolant la chair de personnages qui souffrent ou se trompent. Car c’est bien la frustration qui se loge dans toutes ces quêtes : celle de la mère ratée qu’est le personnage de Moore, celle du cinéaste non reconnu ou de l’étalon qui doit se maintenir au sommet.


Cette notion phare – retenir, que ce soit le talent, le succès, ou l’emprise émotionnelle, est paradoxalement le principal reproche qu’on peut faire à Boogie Nights. Le deuxième pan du film, qui traite en bonne logique de la décadence après la période faste, souffre de lourdeurs et de longueurs vraiment dommageables. Le montage alterné entre les deux bastons, celle de Dirk et de Roller Girl, le projet de braquage qui nous fait dériver vers du Tarantino à la sauce True Romance, les dérives de Dirk qu’on avait pourtant déjà bien identifié comme étant limité dans la première partie, tout procède sur le mode de la démonstration explicite. Et PTA de nous resservir un braquage de plus, permettant par les joies de la coïncidence, à l’un des personnages de récupérer la somme que les banques lui refusaient pour monter son affaire du fait de son affiliation au porno… La coupe est pleine, et on voit très bien comment cette incapacité à conclure conduira à une nouvelle écriture, celle du kaléidoscope Magnolia, autrement plus juste, car assumée dans ses excès.
Il n’en demeure pas moins que par la richesse de sa reconstitution, le talent de ses comédiens et la fluidité de sa mise en scène, Boogie Nights marque un début de carrière frappant.


http://www.senscritique.com/liste/Integrale_Paul_Thomas_Anderson/1457769

Sergent_Pepper
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le 28 sept. 2016

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Sergent_Pepper

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